Introduction
Inspiré du modèle FATCA, l’échange automatique de renseignements (EAR) est depuis le 1er janvier de cette année une réalité pour la Suisse et beaucoup d’autres juridictions.
L’EAR vise à lutter contre la soustraction d’impôts sur le plan international et plus particulièrement à éviter que de la substance fiscale puisse échapper au fisc d’un pays en étant dissimulé à l’étranger.
Cet article entend présenter les conséquences de ces nouvelles règles pour la clientèle privée qui a créé ou qui envisage de constituer un trust dans une juridiction participant à l’échange automatique d’informations. Un accent particulier sera mis sur l’aspect suisse.
Les trusts sont en effet largement visés par la norme et tout a été mis en œuvre afin de combattre leur opacité.
I) Rappel du fonctionnement de l’EAR
L’échange automatique d’informations trouve son origine dans la Convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, élaborée par le Conseil de l’Europe et l’OCDE, et dont l’entrée en vigueur est intervenue pour la Suisse le 1er janvier 2017.
Cet accord fournit entre autres les bases juridiques matérielles de l’assistance administrative entre la Suisse et les autres Etats parties. Il prévoit trois formes d’échange de renseignements : sur demande, spontané et automatique. S’agissant de l’échange automatique d’informations, la Convention prévoit à son article 6 :
« Pour des catégories de cas et selon les procédures qu’elles déterminent d’un commun accord, deux ou plusieurs Parties échangent automatiquement les renseignements visés à l’art. 4. »
Sur la base de cette convention, la Suisse a comme beaucoup d’autres pays, signé le 19 novembre 2014, l’Accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers (Multilateral Competent Authority Agreement, MCAA), qui consacre le principe de la mise en œuvre harmonisée de la norme sur l’échange automatique d’informations de l’OCDE.
Les dispositions du MCAA et de la Convention n’étant pas assez détaillées, exécutables et concrètes pour être directement applicables, leur adoption a nécessité la promulgation de la Loi fédérale sur l’échange international automatique de renseignements en matière fiscale (LEAR) du 18 décembre 2015 (RS 653.1), entrée également en vigueur au 1er janvier de cette année, qui contient des dispositions relatives à l’organisation, à la procédure, aux voies de droit et aux dispositions pénales applicables. Une ordonnance (OAER, RS 653.11) a également été adoptée par le Conseil fédéral en novembre 2016 et les Directives de l’Administration fédérale des contributions viennent d’être publiées fin janvier 2017 sur son site Internet.
Afin que l’EAR puisse être appliqué avec un Etat partenaire, il doit être activé. Sa mise en œuvre peut se faire par le biais d’un traité bilatéral ou sur la base du MCAA, qui se fonde lui-même sur la Convention concernant l’assistance administrative en matière fiscale. Dans cette hypothèse, le pays active un EAR bilatéral avec un État X ou Y par notification au secrétariat de l’Organe de coordination.
S’agissant de la Suisse et pour les pays avec lesquels un accord a été conclu, les données sont collectées depuis le 1er janvier 2017 et les premiers échanges interviendront à partir de 2018. Parmi les juridictions avec lesquelles la Suisse accorde l’EAR dès 2017 figurent tous les pays de l’Union européenne, l’Australie, l’Islande, la Norvège, les dépendances de la Couronne britannique, Guernesey, Jersey, l’île de Man, le Japon, le Canada et la République de Corée.
D’autres juridictions viendront s’ajouter à la liste en 2018 comme le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Chili, les îles Caïmans, l’Inde, les BVI, Israël, Monaco, le Mexique, Maurice ou encore la Nouvelle-Zélande et les Seychelles.
Pratiquement, l’EAR requiert que les institutions financières (par exemple les banques) établies dans des juridictions partenaires identifient tous les clients qui ont pour domicile fiscal une autre juridiction partenaire. Dès qu’une personne devant faire l’objet d’une déclaration est identifiée, l’institution financière déclarera sur une base annuelle les informations adéquates aux autorités fiscales locales qui par la suite feront suivre ces données aux autorités fiscales du pays dans lequel la personne devant faire l’objet d’une déclaration est domiciliée fiscalement.
Les informations suivantes seront échangées :
– renseignements d’identification (par exemple le nom de la personne physique ou de l’entité, l’adresse, le pays du domicile fiscal, le numéro d’identification fiscale et la date de naissance) ;
– renseignements concernant le compte (par exemple le nom de l’Institution financière déclarante et le numéro de compte) ;
– informations financières (par exemple le solde du compte, les dividendes et les intérêts versés, les autres revenus et les versements bruts).
II) Le reporting des trusts
Sous l’échange automatique d’informations, chaque entité (personnes morales ou constructions juridiques, telles que sociétés de capitaux, sociétés de personnes, trusts ou fondations) résidant dans une juridiction participante est classifiée soit comme Institution financière (Financial Institution, ci-après « FI »)[1], soit comme Institution non-financière (Passive ou Active Non-Financial Entity, ci-après « NFE active ou passive »).
Les FI ont l’obligation de collecter les renseignements financiers relatifs à leurs clients (account holders) ayant une résidence fiscale à l’étranger. Ces renseignements sont ensuite envoyés automatiquement à l’autorité fiscale nationale, qui les transmet à l’autorité étrangère compétente pour le client concerné. A contrario, une NFE active ou passive ne doit collecter des informations que sur elle-même et éventuellement sur les personnes qui la contrôlent. En revanche, ce sera l’Institution financière où les fonds sont déposés (la banque en général) qui se chargera de transmettre les informations à l’autorité fiscale nationale et non la NFE elle-même.
Les trusts seront des FI déclarantes (Reporting Financial Institution) si cumulativement :
1) Le trust est situé dans une juridiction participante (Participating Jurisdiction), étant précisé que c’est la résidence fiscale du trustee qui est déterminante sauf si le trust est lui-même un sujet fiscal (par exemple au Royaume-Uni) résident d’un pays participant (cette approche ne semble pas être suivie par la Suisse qui considère qu’« une FI sous forme de trust est réputée résider en Suisse aux fins de l’EAR si au moins l’un de ses trustees réside en Suisse. Cela est applicable indépendamment du fait que le trust lui-même a son domicile fiscal dans un État partenaire »). A noter que la proper law du trust est ici irrelevante. En cas de pluralité de trustees résidant dans des pays différents, le trust sera un FI déclarante dans chacune des juridictions participantes où résident les trustees. Il y aura donc plus d’un reporting pour le même trust. En ce qui concerne les underlying companies des trusts, elles sont résidentes dans le pays où elles sont imposées ou en l’absence d’imposition au lieu de leur enregistrement ou de leur direction effective.
2) Le revenu brut du trust (ou de l’underlying company) provenant d’une activité d’investissement, de réinvestissement ou de négociation d’actifs financiers (actions, obligations, parts de fonds, produits dérivés, etc. mais pas un intérêt direct dans un bien immobilier sans avoir recours à un emprunt ni les œuvres d’art et les biens de luxe comme les yachts ou les avions) est supérieur ou égal à 50% de son revenu brut durant la plus courte des deux périodes suivantes : a) la période de trois ans qui s’achève le 31 décembre précédant l’année au cours de laquelle le calcul est effectué ou (b) la période d’existence de l’entité.
3) Le trust (ou l’underlying company) est géré(e) de manière professionnelle. Dans le cadre de l’EAR, un trust est généralement considéré comme tel si le trustee est une personne morale dont le but principal est de placer, d’administrer ou de gérer des fonds, de l’argent ou d’autres actifs financiers pour le compte du trust (le trustee est lui-même considéré comme une Entité d’investissement avec activité de gestion, Managing Investment Entity, soit également une FI déclarante).
Il ressort de ce qui précède qu’un trust géré par un trustee qui est une personne physique ne sera pas considéré comme étant géré de manière professionnelle sauf si le trust délègue la gestion des avoirs à une Entité d’investissement avec activité de gestion (par exemple une banque avec un mandat discrétionnaire ou un gestionnaire de fortune externe). Ces activités ou opérations n’incluent pas la fourniture à un trust de prestations exclusivement limitées au conseil en placement. On relèvera également que la simple détention d’un compte bancaire par le trust ne signifie pas que celui-ci soit géré de manière professionnelle.
Si les réponses aux trois questions posées ci-dessus sont affirmatives le trust sera considéré comme une Entité d’investissement gérée de manière professionnelle (Professionally Managed Investment Entity), soit une FI. Il en va de même s’agissant des underlying companies d’un trust si le corporate trustee est également le directeur de la société sous-jacente.
A noter que le trust lui-même n’est pas considéré comme une Institution financière déclarante si le trustee est lui-même une telle institution et qu’il se charge de faire l’entier du reporting (trustee-documented trust).
Si l’une ou l’autre des questions ci-dessus est répondue par la négative, il convient de déterminer si le trust est une NFE active ou passive.
Il existe une liste fermée d’entités considérées comme des NFE actives (par exemple, les entités publiques, les banques centrales, les organisations internationales, les entités à but non lucratifs, etc.). En pratique, un trust sera une NFE active s’il est constitué exclusivement à des fins caritatives, religieuses, scientifiques, artistiques, culturelles, sportives ou éducatives et qu’il est exonéré d’impôt ou s’il détient uniquement des participations dans des sociétés d’un groupe non financier.
Si le trust ne rentre dans aucune de ces catégories, il est automatiquement considéré comme une NFE passive.
Enfin, sont également considérés comme des NFE passive, les trusts ou les sociétés sous-jacentes d’un trust (classifiées comme entités d’investissement gérées de manière professionnelle) qui sont résidents dans un pays qui n’a pas souscrit à l’échange automatique d’informations.
On relèvera encore que dans le cadre d’un trust avec une undelying company, c’est le trust et non cette dernière (bien qu’elle soit une FI) qui fera le reporting sauf si le trust (ou l’underlying company) se situe dans une juridiction non participante (auquel cas la banque s’en chargera). Si la société sous-jacente est une NFE passive, tant le trust que la banque dépositaire feront le reporting.
III) Le trust en tant que FI
En sa qualité de FI, le trust (ou le trustee en présence d’un trustee-documented trust) à l’obligation d’identifier et de faire rapport aux autorités fiscales du pays de résidence du trustee, toute détenteur (on parle d’account holder ce qui semble erroné dans le cadre d’un trust) d’une participation ou d’une créance dans la structure (debt and equity interests in the entity).
Pour l’identification concrète des account holders, le CRS Implementation Handbook prévoit que les FI doivent utiliser les procédures AML/KYC prévues par les normes du GAFI (celles de 2012 pour les nouveaux comptes), étant précisé que la due dilligence n’est pas strictement la même pour les comptes existants et les nouveaux comptes. Le principe de l’auto-certification est la règle notamment pour ces derniers.
Bien entendu, il n’y aura de reporting que si l’account holder est résident fiscal dans une juridiction participante (Reportable Accounts held by a Reportable Person).
Il appartient à chaque juridiction de définir dans son droit interne ce qu’il entend par créancier du trust.
En revanche, les détenteurs d’une participation dans celui-ci sont définis par la Norme commune et le Commentaire de celle-ci comme le settlor et les bénéficiaires, ainsi que toute personne physique exerçant le contrôle effectif sur le trust (« the equity interests are held by any person treated as a settlor or beneficiary of all or a portion of the trust, or any other natural person exercising ultimate effective control over the trust »). On relèvera que ni le trustee, ni le protector ne sont expressément mentionnés ce qui paraît logique puisque ces personnes n’ont pas « d’equitable interests » dans la structure. En effet, le trustee n’a que la propriété juridique des biens mis en trust (legal ownership) et le protector n’a pour sa part aucun droit de propriété ni économique ni juridique sur lesdits biens.
Doit-on en déduire que le trustee et le protector sont exclus de l’échange automatique d’informations dans le cadre d’un trust FI ? La réponse est controversée et dépendra de l’interprétation faite par la juridiction participante. En tout état de cause, on a de la peine à comprendre pourquoi le trustee a été expressément ôté de la norme alors qu’il est inclus pour les trusts qui sont des NFE passives (voir ci-dessous).
La Suisse, face à cette problématique, a décidé de couper la tête au taureau en prévoyant expressément dans ses Directives :
« Dans le cas d’un trust qui est une FI, le titre de participation est attribué à la personne considérée comme le constituant (settlor) ou le bénéficiaire de tout ou partie du trust ou à toute autre personne physique exerçant un contrôle effectif sur le trust. Les personnes devant faire l’objet d’une déclaration sont le constituant et les bénéficiaires. Les trustees doivent être traités comme n’importe quel organe de la société et ne sont pas des personnes devant faire l’objet d’une déclaration. »
S’agissant du protector, la situation est également très délicate car il n’aura généralement pas le contrôle effectif sur la structure à moins qu’il ne dispose de tous les pouvoirs à la place du trustee, ce qui est contraire au droit des trusts. Au-delà de la dimension purement académique du problème, se pose la question de l’utilité fiscale de ce genre d’informations pour les autorités. On peut en effet légitimement douter qu’un protector ait les moyens de commettre des actes d’évasion fiscale en rapport avec le trust.
En revanche, l’OCDE a récemment semé une grande confusion : en effet, dans la foire aux questions (FAQ) publiée sur le site Internet de l’Organisation on peut y lire :
« Le protector doit être identifié peu importe qu’il dispose d’un contrôle effectif sur le trust. »
Il s’agit clairement d’un non-sens par rapport à la définition retenue dans le Commentaire et la Norme commune. Ou l’OCDE a-t-elle voulu rattraper une erreur en omettant de mentionner le protector comme account holder ? Quoi qu’il en soit, il se pose à ce stade la question plus large de la force obligatoire des FAQ ou même du CRS Implementation Handbook non seulement pour les autorités des juridictions participantes mais surtout pour les praticiens, spécialement en cas de contradiction entre les textes. De notre point de vue, nous estimons que sous réserve de dispositions contraires du droit interne, si le protector n’a de par ses pouvoirs conférés aucun contrôle effectif sur le trust, il n’a pas à être annoncé lorsque celui-ci est une FI. A noter que les Directives de l’AFC sont malheureusement muettes à cet égard.
Toutefois, le Commentaire concernant la Convention relative à l’obligation de diligence des banques (CDB 16), document de référence pour les banques suisses en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et qui peut servir de base d’interprétation pour l’échange automatique d’informations (au vu du rapprochement entre l’EAR et les procédures AML/KYC applicables) nous conforte dans cette analyse. Il prévoit en effet que :
« S’agissant des trusts, le cocontractant n’a à fournir d’indications concernant le(s) protector(s) et/ou les tiers que si ceux-ci bénéficient d’un pouvoir de révocation du trust (s’il s’agit d’un trust révocable) et/ou ont le droit de désigner le trustee. Il n’y a donc pas lieu d’indiquer les gérants de fortune, conseillers, etc. »
En ce qui concerne les bénéficiaires d’un trust discrétionnaire, ils seront identifiés et annoncés aux autorités uniquement si une distribution a été effectuée en leur faveur durant l’année considérée. A contrario, ceux qui disposent d’un droit fixe aux avoirs (revenu et/ou capital) du trust seront toujours identifiés et annoncés.
S’agissant du settlor, il doit toujours être identifié même s’il n’exerce aucun contrôle effectif sur le trust (de notre point de vue, il paraît toutefois douteux que l’on puisse considérer que le settlor ait un « equitable interest » dans un trust irrévocable sauf s’il est lui-même bénéficiaire auquel cas, il devra faire l’objet d’un double reporting, une fois en tant que settlor et une fois en sa qualité de bénéficiaire).
Enfin, si l’un des account holders est une entité, le CRS Implementation Handbook prévoit qu’il convient de regarder celle-ci en transparence (look through) et d’identifier les personnes qui exerce le contrôle effectif derrière celle-ci (on appliquera le seuil des 25% des droits de vote ou du capital de la société). Cette interprétation nous semble une fois encore douteuse dans le cadre d’une FI. En effet, l’identification des controlling persons devrait intervenir en présence d’une passive NFE uniquement. Il n’y a en principe pas de look through pour les FI.
On relèvera encore que selon les Directives suisses, les personnes physiques introuvables, disparues ou décédées et les personnes physiques d’une entité liquidée qui étaient des fondateurs et des constituants et qui n’exercent plus ces rôles ne doivent pas faire l’objet d’un reporting.
Au niveau des informations transmises par les FI figurent :
– des données clients de chaque account holder (nom, adresse, date et lieu de naissance, pays de résidence fiscale, numéro d’identification fiscale (TIN)) ;
– des données financières (numéro et solde du compte de chaque client, revenus des placements y compris les intérêts et les dividendes, montants bruts versés, produits de ventes d’actifs financiers ; A noter que les distributions versées sous une autre forme que des espèces, par exemple sous la forme d’œuvres d’art ou de biens immobiliers, au bénéficiaire du trust ne sont pas des paiements. Elles entrent néanmoins, le cas échéant, dans le calcul du solde du compte) ;
– des informations sur la FI (nom, adresse et numéro d’identification du trust étant précisé que pour les trusts qui n’ont pas d’adresse propre, il faut communiquer l’adresse du trustee ; Par ailleurs, en cas de trustee-documented trust, le nom à communiquer est celui du trustee (idem pour le numéro d’identification) ;
– des informations sur la clôture du compte par exemple en cas de retrait de l’un des bénéficiaires (date de la clôture et versements effectués durant la période considérée).
Chaque account holder fait l’objet d’un reporting séparé. Une question difficile est celle de déterminer la valeur d’intérêt de chaque protagoniste dans le trust (the value of the interest qui comprend 2 éléments : l’account balance or value (solde ou valeur du compte) ainsi que les gross payments (versements bruts)). A cet égard ni la Norme commune, ni le Commentaire ne contiennent d’indications à ce sujet. Il sied une fois encore de se reporter au CRS Implementation Handbook. Il est évident que les versements bruts à un bénéficiaire correspondent au montant des distributions reçues pendant la période (en revanche la valeur du compte sera pour lui de 0 si le trust est discrétionnaire) ou dont il a droit (dans cette hypothèse la valeur du compte correspondra à la totalité des avoirs du trust). La valeur d’intérêt du protector et du trustee correspondra à la totalité des avoirs du trust s’agissant de la valeur du compte et sera de nulle s’agissant des versements bruts (sauf en cas de distributions en leur faveur). Il en va de même s’agissant du settlor bien que cela nous paraisse faux dans le cadre d’un trust irrévocable.
IV) Le trust en tant que NFE
Dans l’hypothèse où le trust est qualifié de NFE active, l’Institution financière déclarante où les avoirs sont déposés (et non le trustee) doit identifier le trust et l’annoncer aux autorités nationales, à condition que le trust lui-même se situe dans une juridiction participante et qu’il soit un sujet fiscal. Il n’y a aucun reporting s’agissant des personnes détenant le contrôle sur la structure (bénéficiaires, settlor, etc.).
Si le trust est une NFE passive, tant le trust (s’il est un sujet fiscal) que les controlling persons (si elles résident dans une juridiction participante) doivent être identifiés et annoncés par l’Institution financière déclarante dépositaire des biens. Ce n’est donc pas le trustee qui est chargé du reporting et si le trust n’a pas de comptes financiers auprès d’une Institution financière déclarante, il n’y aura aucune annonce. Par ailleurs, il n’est pas relevant que le trust se situe dans une juridiction non-participante du point de vue des controlling persons.
Selon le CRS implementation handbook, le terme « personne détenant le contrôle » doit être interprété à la lumière des recommandations du GAFI dans leur version de 2012. Or, celles-ci ne contiennent aucune référence à cette formulation mais utilisent la notion de « bénéficiaire économique ». S’agissant des trusts (et des sociétés sous-jacentes), les recommandations du GAFI imposent d’identifier les bénéficiaires économiques suivants : le settlor (peu importe que le trust soit révocable ou non), les bénéficiaires (dans le cadre d’un trust discrétionnaire et à la différence du cas ou le trust est une FI, il n’importe pas qu’une distribution soit intervenue sauf si la juridiction participante impose le reporting uniquement dans cette hypothèse ; à cet égard la Suisse laisse le libre choix à l’Institution financière déclarante) ou la classe de bénéficiaires (uniquement en cas de distributions ou si le bénéficiaire dispose d’un droit ferme à une distribution), le(s) trustee(s), le protector et toute autre personne physique qui détient un pouvoir de contrôle effectif sur la structure. Cette liste est également expressément reprise dans le CRS implementation handbook et le Commentaire étant précisé qu’il n’est pas relevant que ces personnes exercent effectivement un contrôle sur le trust.
A noter que le détenteur d’une procuration ou d’une délégation de signature en lien avec un compte n’est pas considéré comme une personne détenant le contrôle du trust uniquement sur la base de cet élément, car ce pouvoir donne uniquement un contrôle sur le compte mais ne permet pas d’avoir le contrôle sur le trust.
Par ailleurs, s’agissant des entités (le bénéficiaire est un trust par exemple), il convient de procéder par transparence jusqu’à la personne physique finale. Ainsi, les Directives de l’AFC stipulent que :
« Si le constituant (settlor), le trustee, le protecteur, le bénéficiaire ou le membre d’une catégorie de bénéficiaires d’un trust est une entité, une FI suisse déclarante est tenue, indépendamment du statut EAR de l’entité (sauf pour les sociétés cotées en bourse et leurs entités liées, cf. ch. 4.8.6), d’identifier également les personnes détenant le contrôle de cette entité et de les traiter en tant que personnes détenant le contrôle du trust. »
Dans l’hypothèse d’une underlying company d’un trust, les personnes détenant le contrôle du trust, indépendamment de la juridiction de résidence et du statut EAR du trust, doivent être considérées comme personnes détenant le contrôle de l’entité contrôlée.
D’après les Directives de l’AFC, les FI suisses déclarantes qui sont soumises à la CDB 16, à savoir les banques, doivent traiter les ayants droit économiques et les détenteurs du contrôle du trust selon les dispositions de la CDB 16.
L’identification de ces personnes dans le trust se fait au moyen d’un formulaire T. Il en va de même pour les underlying companies où ce document est signé par les organes de la société (contrairement aux sociétés de domicile, où un formulaire A est exigé). Ainsi, lorsqu’une FI suisse déclarante se base sur la CDB 16, elle doit traiter toutes les personnes physiques mentionnées nommément sur le formulaire T comme des personnes détenant le contrôle.
Or cela pose un problème au niveau des corporate trustees. En effet, le Commentaire de la CDB 16 dispose que :
« Les corporate trustees sont exclus de l’obligation d’identification des détenteurs du contrôle. En effet, les Recommandations 24 et 25 du GAFI distinguent clairement entre « Legal Person » et « Legal Arrangement ». Les trusts relèvent du « Legal Arrangement » selon la Recommandation 25. Cette même Recommandation 25 prescrit toutes les informations à recueillir concernant les trusts. La nouvelle exigence de clarification des détenteurs du contrôle désormais imposée par la LBA pour les personnes morales se fonde toutefois (comme le mentionne expressément le message) sur la Recommandation 24 du GAFI, laquelle n’est pas applicable aux trusts. Pour ces derniers, les informations pertinentes doivent être recueillies au moyen du formulaire T. Il en résulte que pour les trustees (c’est-à-dire les corporate trustees), le formulaire K n’est pas requis. »
Ainsi, les banques suisses, sur la base de la CDB 16, n’ont pas à identifier les détenteurs du contrôle du corporate trustee alors que les autres Institutions financières déclarantes sont tenues de le faire. Il n’y a aucune explication rationnelle à cet état de fait, il s’agit d’un véritable non-sens !
Une autre contradiction se produit dans l’hypothèse où il y a une underlying company d’un trust. En effet, selon la CDB 16, le cocontractant est la société elle-même et il n’y a aucune obligation d’identifier le trustee, que ce dernier soit une personne physique ou morale (le trustee n’est alors pas considéré comme détenant le contrôle de la structure). En revanche, si l’Institution financière déclarante n’est pas une banque, cette obligation subsiste selon les dispositions de la Norme commune.
En ce qui concerne les bénéficiaires, d’après le nouveau Commentaire de la CDB16 (2ème version) :
« Les bénéficiaires discrétionnaires doivent être nominativement déterminés. Sont réputées être des bénéficiaires toutes les personnes qui sont désignées par leur nom dans les statuts, le règlement, l’acte constitutif (trust deed), la letter of wishes ou autres documents analogues, ou qui sont identifiables à titre individuel en tant que membres d’un groupe de bénéficiaires. […]
Si par exemple il est fait mention d’un groupe de bénéficiaires comprenant « l’épouse et tous les descendants directs du settlor », l’épouse existante et tous les éventuels descendants déjà nés doivent être désignés par leur nom, avec toutes les indications requises. Il convient en outre d’identifier toutes les personnes qui ont déjà bénéficié de distributions et ne sont pas exclues d’autres distributions. Si un groupe de bénéficiaires ne comprend aucune personne en vie à la date concernée, on peut indiquer le groupe de bénéficiaires simplement déterminable (p. ex. « descendants du fondateur »).
Si le groupe de bénéficiaires comprend plus de vingt premiers bénéficiaires individuellement identifiables, il y a lieu d’indiquer, outre ce groupe, uniquement les bénéficiaires disposant d’un droit inconditionnel à des distributions. […]
Les personnes qui ne peuvent acquérir un droit sur la fortune du trust ou sur ses revenus qu’après la réalisation d’une condition suspensive ou à l’expiration d’un certain délai (notamment après la disparition ou suppression d’un bénéficiaire d’un rang antérieur; bénéficiaires dits « éventuels »), que ce droit soit fixe ou discrétionnaire, ne sont à indiquer qu’une fois la condition réalisée ou la date butoir atteinte. Si cette condition suspensive ou ce délai a pour effet qu’à une date donnée, il n’existe pas de bénéficiaires, il convient d’indiquer les personnes ou groupes de bénéficiaires qui, une fois la condition suspensive réalisée ou la date butoir atteinte, acquerront le droit. »
A noter que les Directives de l’AFC se montrent un peu plus souples à l’égard des bénéficiaires et permettent aux banques, de faire à choix le reporting sur tous les bénéficiaires connus nommément qui disposent de droits discrétionnaires ou seulement ceux qui ont reçu une distribution (comme expliqué ci-dessus).
S’agissant de l’identification concrète des « personnes détenant le contrôle », le recours à des auto-certifications est prévu par la Norme commune.
Les informations à transmettre sont les mêmes que si le trust est une FI (activité financière du trust, nom, adresse, TIN, type de controlling person, valeur du compte et revenus perçus, versements effectués, fermeture du compte, etc.) étant précisé que chaque controlling person se verra attribuer l’entier de capital du trust et en ce qui concerne les revenus, uniquement les distributions à chacune d’entre elles.
Conclusion
Lors de l’élaboration du standard, l’OCDE a tout mis en œuvre pour « casser » l’opacité des trusts, décidant sans trop y réfléchir d’y inclure tous les participants à la structure.
Et tant pis s’il en résulte des absurdités et des contradictions ! Toutefois, ce système très coûteux et complexe va poser des problèmes d’interprétation et les risques d’erreurs pour le praticien sont grands. Reste à savoir comment les juridictions participantes vont implémenter la Norme commune en pratique.
Quoi qu’il en soit, il appartiendra au praticien de ne pas se tromper dans la classification. Sans doute, il sera préférable que le trust soit une FI plutôt qu’une NFE passive car cela permettra d’éviter de multiples reporting (et donc un risque d’erreur accru), et surtout force est de reconnaître que le trustee connaît souvent bien mieux le dossier et dispose d’une vision plus complète de la structure que la banque dépositaire.
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[1] Il existe deux types d’Institutions financières : Les Entités d’investissement avec activité de gestion ou « type A » et les Entités d’investissement gérées de manière professionnelle ou « type B ». Est une entité de type A, si elle exerce une ou plusieurs des activités ou opérations suivantes au nom ou pour le compte d’un client : transactions sur instruments financiers, gestion de portefeuille, ou autres opérations d’investissement, d’administration ou de gestion de fonds, d’argent ou d’actifs financiers pour le compte de tiers. Par ailleurs, les revenus bruts de l’entité imputables aux activités citées ci-dessus doivent être supérieurs ou égaux à 50% du revenu brut de l’entité au cours des trois années précédentes et celle-ci n’est pas considérée comme une ENF holding, une entité de financement membre d’un groupe non financier, une ENF récemment créée ou une ENF en cours de liquidation ou en cours de restructuration. Seront des entités de type A notamment les banques, les gestionnaires de fortune externe et les trustees mais non les avocats, les private trust companies (PTC) qui ne perçoivent aucun revenu, les sociétés fiduciaires et les service providers qui fournissent principalement des prestations de secrétariat, de domiciliation ou de comptabilité. A noter toutefois que les entités actives dans la gestion de fortune ou le conseil en placement et gérant exclusivement des avoirs déposés au nom du client auprès d’une banque en vertu d’une procuration ou exerçant cette activité en qualité d’organe d’une société ou d’une fondation sont réputées des Institutions financières non déclarantes.
Sera classifiée comme entité de type B si elle est gérée de manière professionnelle (c’est-à-dire si un autre établissement financier (par exemple : une banque, un gestionnaire de fortune, un trustee, etc.) détient le pouvoir discrétionnaire de gérer ses actifs et exerce, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un autre prestataire de services, l’une ou l’autre des activités suivantes pour le compte de l’entité gérée : transactions sur des instruments financiers, gestion de portefeuille ou placement, administration ou gestion de fonds, d’argent ou d’actifs financiers pour le compte d’autres personnes. Lorsque seule une partie des actifs d’une entité est gérée de manière professionnelle, l’entité est réputée gérée de manière professionnelle dans son ensemble. Par ailleurs, il faut que le revenu brut de l’entité provenant d’une activité d’investissement, de réinvestissement ou de négociation d’actifs financiers (actions, obligations, parts de fonds, produits dérivés, etc.) soit supérieur ou égal à 50% de son revenu brut au cours des trois années précédentes et qu’elle ne soit pas considérée une ENF holding, une entité de financement membre d’un groupe non financier, une ENF récemment créée ou une ENF en cours de liquidation ou en cours de restructuration. Seront typiquement des entités de type B les trusts ou les véhicules d’investissement sans activité commerciale ayant confiés un mandat discrétionnaire à une banque ou une société de gestion de fortune.