Télétravail : imposition, sécurité sociale et règlementation du séjour en Suisse

Implications du télétravail sur les frontaliers suisses.
Télétravail: guide des règles en vigueur en Suisse.

Au plus fort de la pandémie de Covid-19, le nombre de travailleuses et de travailleurs à domicile occasionnels atteignait 34.2% en Suisse, soit 1,5 million de personnes, selon l’Office fédéral de la statistique.

Si le télétravail semble s’essouffler quelque peu aujourd’hui (en 2022, 10.3% des personnes actives occupées ont télétravaillé de manière habituelle (plus de 50% de leur temps de travail) et 13.7% de façon régulière), le travail à distance demeure une pratique largement répandue qui a révolutionné le monde de l’emploi.

Les avantages sont en effet nombreux ; pour ne citer que quelques-uns, le télétravail permet une diminution de l’espace nécessaire de travail et partant une baisse des coûts pour les entreprises, une réduction des déplacements professionnels, une flexibilité au niveau de l’organisation du travail et de la vie familiale.

Toutefois, des questions complexes sous l’angle du droit fiscal, du droit du travail et de la sécurité sociale se posent, notamment s’agissant des frontaliers.

Pour rappel, au 3ème trimestre 2023, la Suisse accueillait 391’000 travailleurs frontaliers étrangers, dont 56,4% résidaient en France, 23,8% en Italie et 16.6% en Allemagne. Selon l’Annual Report On Intra-EU Labour Mobility 2022, la Suisse est le deuxième pays de destination des travailleurs frontaliers, derrière l’Allemagne.

Durant la pandémie, face à l’urgence, les états ont pris des mesures exceptionnelles et provisoires sur la règlementation du télétravail. Aujourd’hui, celles-ci ont pris fin et des accords pérennes sont maintenant conclus entre les pays.

Ainsi, par exemple, lors de sa séance du 1er mars 2024, le Conseil fédéral a adopté un message visant à créer une base légale nationale sur l’imposition du télétravail dans le contexte international.

Dans cet article, nous examinerons successivement comment le télétravail affecte la fiscalité, les assurances sociales et les conditions de séjour en Suisse. Nous terminerons par quelques remarques sur les autres risques que présentent le travail à domicile.

Revendiqué par la jeune génération et symbole de la transformation numérique, le télétravail ne fait l’objet d’aucune règlementation particulière en Suisse, notamment dans le code des obligations ou la loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce (LTr). Il subsiste certes une loi fédérale sur le travail à domicile (datée de 1981), mais elle vise spécifiquement les travaux artisanaux et industriels.

En revanche, il existe un accord-cadre européen (2002) qui a pour objectif de donner un cadre général de règlementation du télétravail. Il définit ce dernier comme suit : « (…) forme d’organisation et/ou de réalisation du travail utilisant les technologies de l’information, dans le cadre d’un contrat ou d’une relation d’emploi, dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière ».

Quatre éléments essentiels se dégagent de cette définition :

  • une activité exercée, tout ou partie, en dehors des locaux de l’employeur ;
  • une activité exercée en télétravail de manière régulière ;
  • une activité exercée au moyen des technologies de l’information et de la communication ;
  • une activité qui aurait pu être effectuée dans l’entreprise.

A noter qu’il n’existe aucun droit à faire du télétravail en Suisse. Il convient donc d’obtenir l’accord préalable de son employeur et de convenir avec lui, idéalement par écrit, des modalités (étendue et horaires de travail, mise à disposition du matériel, remboursement des frais, méthodes de protection des données, etc.). Le travailleur a par contre les mêmes droits et obligations que les employés qui exécutent leur prestation dans les locaux de l’entreprise. L’employeur quant à lui pourra exercer son droit de donner des directives en particulier sur le lieu où est réalisé le télétravail et ainsi que sur les outils à utiliser.

Enfin, on relèvera que la LTr ne s’applique que si le lieu où l’activité est déployée se trouve en Suisse.

Les articles 5 al. 1 let. a LIFD et 4 al. 2 let. a LHID prévoient que les personnes physiques qui, au regard du droit fiscal, ne sont ni domiciliées ni en séjour en Suisse sont assujetties à l’impôt à raison du rattachement économique lorsqu’elles exercent une activité lucrative en Suisse. Les articles 91 LIFD et 35 al. 1 let. a LHID prévoient alors que ces personnes sont soumises à l’impôt à la source en Suisse sur les revenus de leur activité lucrative.

En matière internationale, l’article 15 par. 1 du Modèle de convention de l’OCDE, dont le texte est généralement repris dans les conventions de lutte contre les doubles impositions conclues par la Suisse, indique que les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident d’un État contractant reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État (État de résidence), à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre État contractant (État du lieu de travail).

Or, selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, l’exercice d’une activité lucrative et partant le droit d’imposer présuppose une présence physique sur le territoire du lieu de travail.

Ainsi, par exemple, dans l’hypothèse où un résident Luxembourgeois travaille 120 jours sur le territoire suisse et 50 jours au Luxembourg, les jours de travail durant lesquels l’activité est effectivement exercée en dehors de la Suisse doivent être exclus.  Il est donc requis, pour qu’il soit imposable, que le contribuable vienne en Suisse pour y exercer son activité professionnelle. Cette position ne va bien évidemment pas sans soulever des problèmes en matière de télétravail ; en effet, en suivant le raisonnement décrit ci-dessus, si l’employé d’une société suisse télétravaille à 30% depuis son domicile à l’étranger, la rémunération salariale correspondant à ces 30% ne pourrait pas être imposée en Suisse, faute de présence physique du travailleur sur le territoire et partant de rattachement économique, cela peu importe que ladite rémunération soit de source suisse.

Durant la pandémie de Covid-19, se fondant sur une recommandation du Secrétariat de l’OCDE du 3 avril 2020, la Suisse avait convenu avec ses voisins allemands, français, italiens et liechtensteinois d’imposer les frontaliers en télétravail comme s’ils continuaient à faire régulièrement la navette entre leur domicile et leur lieu de travail. Cette réglementation d’exception amiable fut progressivement levée en 2022 et 2023. Or, le télétravail s’inscrit aujourd’hui comme une véritable tendance de société qui va dans certains pays au-delà des taux enregistrés durant la crise sanitaire.  Consciente de la problématique, la Suisse a cherché des solutions bilatérales avec la France et l’Italie.

Le 27 juin 2023, la Suisse et la France ont signé un avenant à la convention du 9 septembre 1966 entre la Suisse et la France en vue d’éliminer les doubles impositions ; celui-ci prévoit de nouvelles règles, applicables réciproquement, en matière d’attribution du droit d’imposer le revenu de l’activité lucrative en cas de télétravail dans l’État de résidence. Ainsi, rétroactivement depuis le 1er janvier 2023, le télétravail est possible à hauteur de 40 % au maximum du temps de travail par année, sans que le statut de frontalier ou que le droit d’imposer de l’État du lieu de travail ne soit remis en cause. La limite fixée pour le télétravail correspond ainsi à deux jours par semaine pour un emploi à plein temps et est adaptée proportionnellement pour un emploi à temps partiel. Les nouvelles règles s’appliquent à l’ensemble du territoire suisse.

Le Conseil fédéral a adopté le message concernant l’approbation de cet avenant le 22 novembre 2023. Un accord amiable entre la France et la Suisse couvre la période transitoire jusqu’à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions légales, mais au plus tard jusqu’au 31 décembre 2024, permettant d’ores et déjà l’imposition du télétravail par l’État du lieu de travail pendant la phase d’approbation de l’avenant. Un second accord amiable précise la notion de travailleur frontalier.

Le télétravail désigne « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail, qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur, est effectué par un salarié dans son état de résidence, à distance et en dehors des locaux de l’employeur (…) en utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Le télétravail peut être effectué sur l’ensemble du territoire de l’État de résidence du travailleur et inclut également les missions temporaires, à savoir les voyages d’affaires ou de service, effectuées par le salarié pour le compte de son employeur dans l’État de résidence de l’employé ou dans un État tiers, pour autant que leur durée cumulée n’excède pas dix jours par année (pour un taux d’activité de 100%). A noter que la limite de 10 jours doit être contenue dans les 40% de télétravail. Des fiches pratiques avec des exemples concrets sont disponibles sur le site internet de la Confédération.

Pour rappel, l’imposition des frontaliers français fait l’objet de règles différentes selon les cantons.  A Genève, selon un accord du 29 janvier 1973, le droit d’imposition appartient à l’état d’exercice du travail (imposition à la source). S’agissant de 8 autres cantons (Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura), c’est le lieu de résidence du frontalier qui est déterminant pour l’imposition selon un accord du 11 avril 1983.

Ainsi, en ce qui concerne ces derniers cantons il est prévu que les frontaliers peuvent exercer leur activité pour un employeur suisse en télétravail en France jusqu’à 40% du temps de travail annuel, sans que cela ne fasse perdre à la France le droit d’imposer intégralement la rémunération correspondante. La base de calcul de la compensation versée par la France à la Suisse (4,5 % du salaire brut des frontaliers) demeure en outre inchangée. En cas de dépassement du seuil des 40% de télétravail, les personnes concernées perdent leur statut de frontalier et sont par conséquent soumises au régime ordinaire de la CDI FR-CH (voir ci-dessous).

S’agissant du canton de Genève, les travailleurs frontaliers domiciliés dans les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie sont imposés à la source sur la totalité de leur revenus suisses (sous réserve d’un taux de télétravail maximum de 40%, voir ci-dessous)), le canton reversant ensuite 3.5% des salaires bruts à la France à titre de compensation. Avec l’introduction des nouvelles règles, Genève ne versera dorénavant une compensation pour le télétravail que pour les jours de télétravail qui représentent entre 15 et 40 % du temps de travail par année civile.

Les salariés qui ne remplissent pas les conditions d’application du statut de frontalier ou qui relèvent des règles ordinaires de la CDI FR-CH (notamment de l’article 17), l’accord prévoit de maintenir l’imposition dans l’état de situation de l’employeur, si le travail effectué à distance depuis l’état de résidence n’excède pas 40 % du temps de travail (le travail à temps partiel doit être adapté au prorata ; ainsi un collaborateur travaillant à mi-temps (50%) pourra télétravailler jusqu’à 1 journée par semaine). En contrepartie du maintien du droit d’imposer les revenus d’activité salariée dans l’état de l’employeur, une compensation adéquate est prévue en faveur de l’État de résidence de l’employé. Ainsi, l’État de résidence de l’employé reçoit de l’État de l’employeur une compensation équivalant à 40 % des impôts que celui-ci a prélevés sur les rémunérations versées en raison des activités exercées sous forme de télétravail dans l’État de résidence. Si la limite de 40 % du temps de travail par année civile est dépassée, une répartition fiscale internationale doit être effectuée dès le premier jour de télétravail.

Ainsi par exemple, si l’employeur suisse donne à son salarié français la possibilité de travailler à domicile, par exemple 1 jour par semaine (20% pour un équivalent temps plein), l’entier de la part télétravaillée sera imposée en Suisse. Pour les employeurs, cela signifie qu’ils pourront continuer à prélever l’impôt à la source suisse comme si les activités exercées en télétravail en France, État de résidence du salarié, avaient été effectuées dans les locaux de l’employeur en Suisse.

En revanche, en cas de télétravail 2.5 jours par semaine (50% pour un équivalent temps plein), 50% de la rémunération sera imposable en France et non pas uniquement les 10% dépassant la limite de 40%. Dans cette hypothèse, les employeurs suisses devront, dans le cadre de la fiche de salaire, réduire le revenu soumis à l’impôt suisse à la source de la part relative à l’activité de télétravail en France. Il convient de contacter les autorités fiscales françaises pour clarifier les modalités d’imposition. A noter que le salarié perdra également, le cas échéant, son statut de « quasi-résident » suisse. En effet, ce dernier suppose qu’au moins 90% des revenus du contribuable soient imposables en Suisse. Or, en télétravaillant au-delà de 40%, le seuil de 90% ne peut pas être atteint.

Les jours de travail au siège de l’employeur devront ainsi être enregistrés et attestés sur la base des documents contractuels. A noter que le nombre de jours de télétravail par semaine n’est pas règlementé, les entreprises et les salariés conservant une certaine flexibilité pour s’organiser à leur guise tout au long de l’année. Seul le seuil de 40% ne doit pas être dépassé au total sur une année.

Pendant la période de transition, la Suisse devra verser à la France, pour chaque année comprise entre le 1er janvier 2023 et le 31 décembre de l’année d’entrée en vigueur de l’avenant, un montant équivalant à 2,3 % des impôts prélevés sur les rémunérations versées aux employés résidant en France.

Enfin, l’avenant prévoit un échange automatique d’informations sur les données salariales des personnes résidant dans un État contractant et travaillant pour un employeur dans l’autre État contractant.

Pour rappel, depuis le 1er janvier 2024, la Suisse conserve 80 % des impôts ordinaires à la source prélevés sur les revenus des frontaliers qui travaillent en Suisse. Ces derniers sont également soumis à l’imposition ordinaire en Italie (Imposta sul Reddito – IRPEF ou IRE), selon les barèmes habituels (jusqu’à 43% au-delà d’EUR 50’000 de revenus taxables au niveau mondial). La double imposition est éliminée par le mécanisme du crédit d’impôt mais il n’y a aucune différence d’imposition entre les travailleurs italiens qui exercent une activité lucrative en Italie et ceux en Suisse en tant que frontaliers. Des règles transitoires sont prévues jusqu’en 2033 pour les frontaliers qui travaillent ou qui ont travaillé dans les cantons des Grisons, du Tessin ou du Valais entre le 31 décembre 2018 et le 17 juillet 2023. Pour plus de détails, nous vous invitons à consulter notre article détaillé sur l’imposition des frontaliers italiens en Suisse.

S’agissant de la notion de « frontalier », elle englobe les personnes qui résident dans une commune (selon la liste publiée le 22 décembre 2023) située dans un rayon de 20 km autour de la frontière et qui retournent chaque jour dans leur commune de résidence ; 45 nuitées par an sont toutefois autorisées en dehors de l’État de résidence.

Or, à compter du 1er janvier 2024, les frontaliers, au sens de l’accord sur l’imposition des frontaliers du 23 décembre 2020, ont la possibilité d’effectuer jusqu’à 25 % de leur temps de travail sous forme de télétravail depuis leur domicile sans que cela n’ait d’incidence sur leur statut ou sur les règles fiscales définies ci-dessus. Un protocole d’accord doit encore être signé entre la Suisse et l’Italie d’ici au 31 mai 2024 suite à une déclaration d’intention du 10 novembre 2023.

A noter que selon un accord amiable du 28 novembre 2023, entre le 1er février 2023 et le 30 juin 2023, le télétravail à domicile était possible jusqu’à 40% du temps de travail pour les frontaliers au sens de l’accord du 3 octobre 1974 entre la Suisse et l’Italie. Du 1er juillet 2023 et au 31 décembre 2023, cette possibilité était réservée aux travailleurs frontaliers qui exerçaient une activité sous forme de télétravail au 31 mars 2022.

A l’heure actuelle, hormis les accords signés avec la France et l’Italie, il n’existe pas de dispositions dans les CDI ou les accords sur l’imposition des frontaliers conclus avec les États limitrophes de la Suisse qui attribuent au lieu de travail le droit d’imposer le télétravail effectué dans l’État de résidence.

Lors de sa séance du 1er mars 2024, le Conseil fédéral a adopté un message relatif à la loi fédérale sur l’imposition du télétravail dans le contexte international. Le nouveau projet de loi, qui s’inscrit dans l’évolution du droit international, instaure une base d’imposition interne pour le télétravail effectué à l’étranger par des personnes résidant dans un État limitrophe pour un employeur suisse. Le but est de doter la Suisse d’une base légale lui permettant d’imposer les travailleurs frontaliers même s’ils exercent l’activité en télétravail à l’étranger (articles 5 al. 1 let. abis LIFD et 4 al. 2 let. abis LHID nouveaux). A noter que la nouvelle norme centrale ne peut déployer d’effets concrets que si le droit d’imposer le télétravail est attribué à la Suisse dans le cadre d’un accord avec les pays limitrophes, à l’instar des accords avec l’Italie et la France. Selon les états, des discussions au niveau international sur le télétravail seront nécessaires.

Ainsi, pour l’Allemagne, les travailleurs frontaliers résidant en Allemagne sont soumis à l’impôt sur le revenu dans leur État de résidence, c’est-à-dire en Allemagne. La Suisse en tant qu’État du lieu de travail peut imposer le salaire à hauteur de 4,5 % au maximum (article 15a CDI CH-DE). Afin d’éliminer la double imposition, l’Allemagne applique la méthode de l’imputation. Pour les personnes exerçant des fonctions dirigeantes, le droit d’imposer le revenu de l’activité lucrative revient exclusivement à la Suisse en tant qu’État du lieu de travail (article 15 al. 4 CDI DE-CH). L’Allemagne applique alors la méthode de l’exemption.

A noter que la CDI CH-DE contient sa propre définition des travailleurs frontaliers. Est réputé frontalier toute personne qui est un résident d’un état contractant, mais dont le lieu de travail est situé dans l’autre état contractant, d’où il retourne régulièrement à son domicile. Toutefois, une personne perd sa qualité de frontalier si, pour une occupation sur toute l’année civile, elle ne regagne pas son domicile plus de 60 jours ouvrables en fonction de l’exercice de son activité. Selon l’ordonnance d’application de l’accord de consultation entre les deux pays, un travailleur est considéré comme retournant régulièrement à son domicile, s’il retourne au moins un jour par semaine ou cinq jours par mois de son lieu de résidence à son lieu de travail et inversement. En d’autres termes, en cas d’emploi à temps plein, quatre jours de télétravail par semaine sont autorisés (ou au moins cinq jours en présentiel par mois sur le lieu de travail sont obligatoires), à condition que le salarié fasse régulièrement la navette de son lieu de travail à son lieu de résidence. En outre, les jours de travail durant lesquels un frontalier au sens de la CDI CH-DE travaille toute la journée à son domicile dans l’État de résidence ne sont pas considérés comme des jours de non-retour dans le calcul des 60 jours.

Dans les relations avec le Liechtenstein, le télétravail n’implique aucune conséquence fiscale dans la mesure où le droit d’imposer les travailleurs frontaliers résidant au Liechtenstein appartient à ce dernier exclusivement (article 15 al. 4 CDI CH-LI). Il n’y a pas d’imposition en Suisse en tant que lieu de travail.

Enfin, concernant l’Autriche, les salariés sont taxés en Suisse en tant que lieu du travail (article 15 al. 1 CDI CH-AU). L’Autriche élimine la double imposition par la méthode de l’imputation.

L’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) conclu avec l’Union européenne (UE) et la convention instituant l’Association Européenne de Libre-Échange (AELE) prévoient depuis 2002, que les personnes qui travaillent en Suisse et dans un État de l’UE ou de l’AELE, y compris en télétravail, sont assujetties aux assurances sociales de leur État de résidence, lorsqu’elles y exercent au moins 25 % de leurs activités (art. 13, par. 1 du règlement [CE] n° 883/2004).

Durant la pandémie liée au Covid-19 et en vertu d’une phase transitoire jusqu’au 30 juin 2023, il avait été convenu qu’un travailleur employé d’une entreprise helvétique restait soumis à la législation suisse de sécurité sociale quelle que soit la part d’activité exercée sous forme de télétravail dans son État de résidence (UE/AELE).

Dans le prolongement de cette solution amiable et afin de faciliter durablement le télétravail, la Suisse et certains États de l’Union européenne ont récemment signé un accord autorisant les frontaliers à travailler, au moyen de la technologie informatique pour rester connecté à l’environnement de travail de l’employeur, jusqu’à 49.9% de leur temps depuis leur État de résidence sans remettre en cause la compétence de l’État du siège de l’employeur en matière d’assujettissement aux assurances sociales. Est à prendre en compte, la situation prévue pour les 12 mois civils à venir. Le seuil de 49.9% peut ainsi être dépassé pendant un mois ou une semaine, si cela s’équilibre sur l’année. Le télétravail et le travail sur place doivent néanmoins se faire avec une certaine régularité.

Cet accord est entré en vigueur au 1er juillet 2023 pour la Suisse, la France, l’Allemagne, l’Autriche, le Portugal, la Belgique, le Liechtenstein, l’Espagne et le Luxembourg notamment et au 1er janvier 2024 pour l’Italie. Afin que la dérogation soit applicable, il convient que les deux États soient signataires de l’accord (résidence du travailleur et siège de l’employeur).

Il ressort de ce qui précède qu’un frontalier français employé d’une entreprise genevoise dont le taux de télétravail à son domicile est inférieur à 50 % reste désormais affilié aux assurances sociales suisses. Inversement, un frontalier résidant et télétravaillant moins de 50% en Suisse pour un employeur dont le siège est en Allemagne peut rester soumis aux assurances sociales du siège de ce dernier.

S’agissant du télétravail exercé sur le territoire d’un état non signataire de l’accord multilatéral, ou pour un employeur ayant un siège dans un tel État, la règle des 25% continue de s’appliquer (au maximum 24.9% de télétravail). Les États non signataires conservent toutefois la possibilité d’adhérer à l’accord ultérieurement. Conclu pour une durée de cinq ans, ce dernier est automatiquement renouvelable pour la même période.

Il est important de noter que le régime dérogatoire ne s’applique qu’aux travailleurs en télétravail transfrontalier (il ne se limite toutefois pas aux travailleurs frontaliers (détenteur d’un permis G)) ; sont ainsi exclus :

  • les indépendants ;
  • les personnes qui exercent, de manière habituelle, également une activité autre que du télétravail dans l’État de résidence (par exemple des visites régulières à des clients, une activité accessoire indépendante) ;
  • les personnes exerçant, de manière habituelle, également une activité dans l’Union européenne, respectivement l’AELE, en dehors de leur État de résidence signataire de l’accord et de la Suisse ;
  • les personnes travaillant pour un autre employeur situé dans l’Union européenne, respectivement l’AELE, en plus de l’activité exercée pour leur employeur suisse.

En outre, l’accord ne s’applique qu’au télétravail compris entre 25 % et 50 % (les règles et procédures ordinaires s’appliquent pour le télétravail inférieur à 25%).

L’accord prévoit également que l’échange d’information entre organismes des États parties concernant les demandes individuelles doit se faire par voie électronique, au moyen du système EESSI (Electronic Exchange of Social Security Information). Pour que l’exception s’applique, une demande doit être faite dans l’état de l’employeur. S’agissant de la Suisse, il convient, afin d’obtenir l’attestation A1 d’affiliation auprès de la caisse de compensation AVS, de passer par la plateforme ALPS. La demande est automatiquement envoyée à l’institution de sécurité sociale étrangère dans l’État de résidence du travailleur. Si celle-ci accepte la demande, l’attestation A1, valable 3 ans, est automatiquement générée et le cas est clôturé.

Un bulletin AVS/PC n° 470 fournit des informations pratiques sur le sujet.

S’agissant du détachement de travailleurs au sens de l’article 12 du règlement (CE) n° 883/2004, il a été convenu que le télétravail temporaire et ponctuel à plein temps (100% du temps de travail) est possible jusqu’à 24 mois au maximum. Ainsi, une entreprise suisse peut détacher l’un de ses salariés afin qu’il télétravaille dans un état de l’Union européenne, de l’AELE, mais également le Royaume-Uni, peu importe à l’initiative de qui le télétravail transfrontalier est effectué, pour autant qu’il ait été convenu entre l’employé et l’employeur. Peu importe également que le télétravail transfrontalier temporaire soit motivé par des raisons professionnelles ou privées (par exemple en raison de la prise en charge d’un proche à l’étranger, pour des raisons médicales, d’une fermeture temporaire des bureaux, etc.).

A noter enfin que l’accord multilatéral sur le télétravail constitue une solution transitoire et que sur le long terme, une modification des règles européennes de coordination sera à prévoir.  Il appartiendra alors à la Suisse de modifier l’ALCP et la convention AELE.

Le principe fondamental de la législation suisse en matière d’immigration veut que tout étranger qui entend exercer en Suisse une activité lucrative, salariée ou indépendante, doit être titulaire d’une autorisation, quelle que soit la durée de son séjour. Il doit la solliciter auprès de l’autorité compétente du lieu de travail envisagé (article 11 LEI). Un permis avec activité lucrative est ensuite délivré par les autorités compétentes, différent en fonction de la durée envisagée du travail en Suisse (permis L ou B).

En date du 5 avril 2022, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) a émis une lettre circulaire destinée notamment aux autorités des migrations cantonales afin de régler le statut des étrangers en télétravail en Suisse.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les autorités considèrent que les ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou de l’Association européenne de libre-échange (AELE) qui font du télétravail en Suisse pour un employeur ayant son siège à l’étranger, sont qualifiés de personnes sans activité lucrative au sens de l’article 24, annexe I ALCP, si l’activité de l’intéressé n’est pas directement liée au marché du travail suisse et sans contact avec la clientèle en Suisse. Dans de telles circonstances, un permis L ou B sans activité lucrative sera délivré au travailleur, même si ce dernier entend s’établir durablement en Suisse en télétravail.

Le SEM justifie cette position par le fait que sont qualifiées de travailleurs salariés au sens de l’ALCP, les personnes qui exercent une activité salariée en faveur d’un employeur de l’État d’accueil dans le cadre d’un rapport de subordination. Selon l’article 6, annexe I, ALCP, l’expression employeur de l’État d’accueil est réservée aux employeurs qui ont leur siège dans l’État d’accueil. Ainsi, les personnes en télétravail en Suisse pour le compte d’un employeur situé à l’étranger ne doivent pas être qualifiées de travailleurs en Suisse (sous réserve des cas de détachements présentant un lien clair et sans équivoque avec le marché du travail et l’économie suisse).

Le télétravail des indépendants est soumis aux mêmes règles, partant du principe qu’il existe un siège social ou un établissement stable à l’étranger.

Toutes ces personnes sont pourtant bel et bien généralement assujetties aux assurances sociales en Suisse, y compris à l’obligation de cotiser à l’assurance chômage. Or, cette situation engendre d’importantes difficultés en cas de licenciement du travailleur en télétravail puisque la loi (article 12 LACI) prévoit que l’assuré n’a droit à l’indemnité de chômage que s’il est au bénéfice, soit d’une autorisation de séjour lui permettant d’exercer une activité lucrative, soit d’un permis de saisonnier. Il est ainsi fréquent que les caisses cantonales de chômage refusent d’allouer les indemnités de chômage au motif que le télétravailleur licencié n’est pas apte au placement, faute de posséder un permis de séjour avec activité lucrative.

S’agissant des ressortissants d’un état non-membre de l’Union européenne ou de l’Association européenne de libre-échange (AELE), le SEM retient une solution différente. Dans ce cas de figure, les personnes en télétravail en Suisse pour le compte d’un employeur à l’étranger sont considérées comme des travailleurs au sens de la LEI et se voient ainsi délivrer un permis de séjour avec activité lucrative, non sans que leur demande ait dû obtenir l’approbation préalable des autorités de la main-d’œuvre étrangère (contingent, examen des intérêts économiques du pays, etc.).

Le SEM justifie sa position en se fondant cette fois sur l’article 1a al. 1 OASA stipulant qu’est considérée comme activité salariée, toute activité exercée pour un employeur dont le siège est en Suisse ou à l’étranger, indépendamment du fait que le salaire soit payé en Suisse ou à l’étranger et que l’activité soit exercée à l’heure, à la journée ou à titre temporaire. En clair, selon les autorités, la notion d’activité lucrative selon l’ALCP et la LEI/OASA ne se recoupe pas exactement, la seconde étant plus large que la première.

Une exception au régime susmentionné s’applique si l’activité de télétravail du ressortissant d’un état tiers n’a aucune influence sur le marché du travail suisse, auquel cas un permis sans activité lucrative sera délivré au titre par exemple de regroupement familial, de formation ou de formation continue, de changement de but de séjour, mais en principe pas pour des cas individuels d’extrême gravité. Cela signifie qu’il est en pratique impossible d’obtenir un nouveau permis de séjour pour un ressortissant d’un état tiers simplement en cas de télétravail en Suisse pour le compte d’un employeur étranger si l’activité envisagée n’a aucune influence sur le marché du travail.

Il est impossible dans le cadre du présent article de détailler toutes les conséquences liées au télétravail (atteinte à la santé des travailleurs, risques en matière de confidentialité et de sécurité des données, surveillance du télétravailleur, etc.).Toutefois, il nous paraît important de relever sommairement ci-après trois risques essentiels que présentent le télétravail pour l’employeur.

1) Tout d’abord, la convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, applicable entre la Suisse et l’Union européenne, prévoit qu’en cas de litige, le travailleur a le choix d’ouvrir une action alternativement par devant le tribunal du lieu du domicile ou du siège de l’employeur, ou celui où il accomplit habituellement son travail (article 19).

Selon la jurisprudence, lorsque l’activité fournie est dispersée ou répartie entre plusieurs lieux, le for se trouve en principe dans celui où le travailleur est occupé pendant la majeure partie de son temps de travail, à moins qu’un autre de ces lieux ne présente un rapport suffisamment stable et intense avec l’objet du litige pour qu’il doive être considéré comme un lieu d’attache prépondérant. D’après les commentateurs, une part du temps de travail globalement majoritaire dans le lieu envisagé, voire supérieure à soixante pour cent du temps de travail total est nécessaire ; à défaut, il n’existe pas de lieu habituel de l’activité convenue et donc pas de for correspondant.

Il ressort de ce qui précède que si le travailleur accomplit déjà plus de 50% de son activité en télétravail, le lieu de son domicile pourrait être considéré comme un for obligatoire. En d’autres termes, l’employeur risquerait d’être tenu de se défendre, en cas de télétravail, devant le tribunal du domicile du travailleur.

2) Ensuite, la loi fédérale sur le droit international privé stipule également, sous réserve d’une clause d’élection de droit, que le contrat de travail est régi par le droit de l’État dans lequel le travailleur accomplit habituellement son travail (article 121 al. 1). Si le travailleur accomplit habituellement son travail dans plusieurs États, le contrat de travail est régi par le droit de l’État de l’établissement ou, à défaut d’établissement, du domicile ou de la résidence habituelle de l’employeur (article 121 al. 2). Le droit européen prévoit des règles similaires. En conséquence, en l’absence de choix des parties, le contrat de travail sera soumis au droit de l’état de résidence du travailleur, lorsque celui-ci y est en télétravail l’essentiel du temps et qu’il ne travaille qu’occasionnellement en Suisse. En outre, les règles impératives d’ordre public (par exemple les dispositions en matière de protection de la santé, la durée hebdomadaire maximale du travail, le temps de repos, le travail de nuit ou du dimanche, la protection contre les licenciements abusifs, etc.) du droit de l’état de domicile du travailleur qui lui seraient plus favorables primeront sur celles du droit suisse correspondantes, en dépit d’un choix contraire des parties.

En résumé, en cas de télétravail prépondérant, les tribunaux du domicile du travailleur sont susceptibles d’appliquer leur propre droit à l’ensemble du contrat de travail. En tout état de cause, ils auront toujours la faculté d’écarter les règles du droit suisse du siège de l’employeur au profit de certaines règles impératives du lieu de résidence de l’employé.

3) Enfin, le fait pour l’employeur d’avoir un salarié utilisant son domicile pour l’exercice d’une activité de l’entreprise pourrait amener les autorités fiscales à considérer que le bureau à domicile constitue un établissement stable dans le pays de résidence de l’employé.

L’OCDE a d’ailleurs émis des recommandations à ce sujet en 2021 en précisant qu’un certain degré de permanence (tant du point de vue temporel que géographique) de l’installation fixe d’affaires mis à la disposition de l’employeur est exigé. En d’autres termes, un risque ne devrait exister que si l’entreprise a exigé que le domicile du télétravailleur soit utilisé pour l’exercice de ses activités. Des indices factuels et précis doivent être établis (volonté du salarié de télétravailler, prise en charge des factures au lieu du télétravail (électricité, internet, etc.), mise à disposition du matériel, etc.) pour déterminer s’il y a – ou pas – implicitement une mise à disposition de l’employeur.

A noter encore que si le salarié en télétravail conclut habituellement des contrats au nom de l’entreprise depuis chez lui, il existe également un risque qu’il soit considéré comme un agent indépendant entraînant là également la constitution d’un établissement stable.

En conclusion, il convient de se montrer très prudent s’agissant des aspects fiscaux liés à la création d’un établissement stable en cas de télétravail. Nous recommandons en tout état de cause que le travail à domicile se limite à des activités purement administratives de l’employé depuis chez lui. En outre, l’employeur devrait laisser à la disposition du salarié un bureau dans les locaux de l’entreprise située dans l’autre état que celui du domicile du travailleur.

Nous restons à votre entière disposition pour toute question. CROCE & Associés SA est un cabinet d’avocats basé à Genève et spécialisé en matière d’immigration, de fiscalité et de sécurité sociale depuis plus de 15 ans. Nos collaborateurs travaillent indifféremment en français, en anglais, en allemand et en italien, dans l’ensemble des cantons de Suisse.

Retour en haut