Violation de la loi sur les travailleurs détachés en Suisse : quelles sanctions ?

Explication de la loi sur les travailleurs détachés.

1. Le but de la loi sur les travailleurs détachés

La loi fédérale du 8 octobre 1999 sur les mesures d’accompagnement applicables aux travailleurs détachés et aux contrôles des salaires minimaux prévus par les contrats-types de travail (RS 823.2 ; Loi sur les travailleurs détachés, LDét) est entrée en vigueur le 1er juin 2004. Elle est complétée par une ordonnance du Conseil fédéral (RS 823.201 ; Ordonnance sur les travailleurs détachés en Suisse, ODét).

Pour rappel, on parle de détachement lorsqu’un employeur envoie des travailleurs exécuter, pour une période déterminée, une prestation de travail dans un état autre que celui où il a son siège et dans lequel les travailleurs exécutent habituellement leurs prestations. Malgré le fait qu’ils exercent leur activité chez un tiers en Suisse, les travailleurs détachés demeurent soumis au contrat de travail qui les lie à leur employeur (pour le compte et sous la direction de celui-ci) durant la durée du détachement et restent soumis au même système de sécurité sociale du pays d’origine.

En tant que mesure d’accompagnement de l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), la loi sur les travailleurs détachés a pour objectif de fixer les conditions minimales de salaire et de travail qui doivent être garanties aux travailleurs détachés en Suisse. En d’autres termes, il s’agit de lutter contre la sous-enchère salariale et de travail, en imposant aux travailleurs détachés les mêmes normes qui sont applicables en Suisse aux travailleurs indigènes.

Les règles obligatoires pour le détachement de travailleurs concernent les domaines de la durée minimale des vacances, le temps de travail et de repos, la rémunération minimum, la santé et l’hygiène au travail, la protection des femmes enceintes ou accouchées, des enfants et des jeunes ainsi que l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes. Ces réglementations sont traitées dans les diverses lois fédérales (par exemple la loi sur le travail (LTr)) ou des ordonnances du Conseil fédéral (par exemple l’ordonnance 1 relative à la loi sur le travail (OLT 1)), des conventions collectives de travail étendues et des contrats-types au sens de l’article 360a du code des obligations. La loi impose en outre d’autres obligations comme par exemple un devoir de diligence de l’entrepreneur en cas de sous-traitance ou de notification par l’employeur pour tout travailleur détaché en Suisse.

En cas de violation des dispositions suisses applicables, les autorités peuvent prendre diverses sanctions, qui feront l’objet de la présente note. Pour de plus amples informations concernant le détachement proprement dit de travailleurs en Suisse, nous vous invitons à lire notre article détaillé ici (en anglais uniquement).

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A noter préalablement que les sanctions prévues par la loi sur les travailleurs détachés ont fait l’objet de modifications en avril 2017, notamment par le biais d’une augmentation du seuil maximum des amendes, la possibilité de cumuler le prononcé d’une amende et d’une interdiction de prester en Suisse ainsi que la suppression de la distinction entre infractions « de peu de gravité » et « plus graves » au sens de l’article 2 LDét.

Enfin, on relèvera qu’une nouvelle révision de la loi sur les travailleurs détachés est en cours afin d’étendre le champ d’application de celle-ci aux réglementations cantonales sur le salaire minimum.

2. Les types de sanctions prévues dans la loi sur les travailleurs détachés

Tout d’abord, il est important de garder à l’esprit que les états membres de l’UE et la Suisse sont libres d’adopter les sanctions qu’ils veulent à condition que celles-ci respectent les principes d’efficacité, de proportionnalité et de non-discrimination.

Ainsi, en Suisse, les sanctions prévues par la loi sur les travailleurs détachés vont du simple avertissement à l’interdiction d’envoyer des salariés pendant une certaine durée, en passant par le prononcé d’une amende (article 9 LDét).

Afin de pouvoir apprécier le type de sanction encourue, il convient dans un premier temps de qualifier le comportement ayant donné lieu au déclenchement de la procédure administrative.

Ainsi, par exemple, la loi sur les travailleurs détachés prévoit uniquement le prononcé d’une amende à concurrence de CHF 5’000 au maximum, en cas de défaut de présentation des documents requis (formulaire A1, confirmation d’annonce, mandat de prestations transfrontalières ou contrat d’entreprise) lors d’un contrôle sur place. Il en va de même dans l’hypothèse d’un défaut de notification du travailleur détaché ou si les conditions d’hébergement ne sont pas respectées (hygiène, confort) au cours de la mission.

La violation des conditions minimales de salaire ou de travail (temps de repos, sécurité, santé, hygiène, égalité hommes-femmes, etc.) est quant à elle sanctionnée par une amende de CHF 30’000 au plus ou d’une interdiction de détacher des salariés pendant une durée de un à cinq ans. Dans les cas graves, la loi sur les travailleurs détachés permet même de cumuler les deux sanctions.

En cas d’infraction aux devoirs de diligence imposés en matière de sous-traitance (respect des conditions de travail et de salaire par les sous-traitants), l’entrepreneur contractant peut se voir infliger une amende de CHF 5’000 au plus, ou d’une interdiction de détachement d’un an au minimum et jusqu’à cinq ans.

Le non-paiement d’une amende administrative engendre également une interdiction d’une année au minimum (cinq ans au plus) de travailler sur le territoire suisse.

Enfin, la violation des conditions de salaires minimaux lors d’un engagement en Suisse prévus par un contrat-type de travail entraîne le paiement unique d’une amende de CHF 30’000 au plus.

Bien entendu, pour chacune des infractions relevées ci-dessus, les frais de contrôle peuvent en sus être entièrement mis à la charge de l’entreprise fautive.

A noter que l’autorité qui prononce une sanction communique une copie de sa décision au Secrétariat d’État à l’économie (SECO) ainsi qu’à l’organe paritaire chargé de l’application de la convention collective de travail. Le SECO établit une liste des entreprises ayant fait l’objet d’une sanction entrée en force et la publie sur Internet. La loi sur les travailleurs détachés confère aux organisations de travailleurs ou d’employeurs la qualité pour agir en constatation d’une infraction à ladite loi. La compétence des autorités administratives pour infliger des sanctions est déterminée dans le droit cantonal (par exemple à Genève, l’OCIRT en vertu de la loi sur l’inspection du travail (LIRT), et dans le Canton de Vaud, le Service de l’emploi (la Commission tripartite cantonale pour l’exécution des mesures d’accompagnement ou le Contrôle du marché du travail et la protection des travailleurs)).

A côté des sanctions administratives, la loi sur les travailleurs détachés prévoit que les autorités peuvent prononcer des amendes pénales à hauteur de CHF 40’000 au plus (article 12 LDét), à moins qu’il ne s’agisse d’un crime ou d’un délit pour lequel le code pénal prévoit une peine plus lourde (par exemple dans la loi sur le travail), notamment en cas de :

  • refus de donner des renseignements ou en cas de renseignements volontairement inexacts ;
  • opposition à un contrôle de l’autorité ou le fait de le rendre impossible ;
  • non-respect du prononcé d’une interdiction de détacher des travailleurs en Suisse.

En outre, l’amende peut se chiffrer à CHF 1’000’000 au plus, si l’employeur, de façon systématique et dans un esprit de lucre, ne garantit pas à un travailleur les conditions minimales salariales ou de travail.

3. La quotité des peines fixées par les autorités

Une fois la nature de la sanction déterminée, il reste à évaluer la peine encourue.

Toute d’abord, l’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction, notamment une amende, doit tenir compte des principes généraux régissant le droit pénal, notamment les article 47 ss du code pénal suisse. En effet, aucun critère ne permet de distinguer clairement les amendes administratives des contraventions au sens de la législation pénale (ATA/1057/2017 du 04.07.2017).

Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence.

Pour la fixation de la peine elle-même, l’autorité jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour infliger une amende, qui ne peut être revu qu’en cas d’excès ou d’abus. Celle-ci doit certes faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi mais doit également respecter le principe de la proportionnalité. L’autorité tiendra ainsi compte de la culpabilité de l’auteur et prendra en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur, et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP).

Comme nous l’avons vu ci-dessus, s’agissant de la proportionnalité, l’article 9 LDét prévoit expressément une gradation des sanctions. D’ailleurs, la sanction de l’interdiction de prester en Suisse contient elle-même une gradation (de un à cinq ans) permettant à l’autorité de sanctionner en fonction de la gravité de l’infraction.

Sur le plan pratique, la jurisprudence est malheureusement plutôt rare en matière de contraventions à la loi sur les travailleurs détachés. Depuis l’entrée en vigueur de la loi en 2004, on recense une poignée d’arrêts du Tribunal fédéral et encore moins sur l’interdiction de détacher des travailleurs en Suisse (attention toutefois, cela ne signifie pas que les autorités infligent rarement des sanctions, au contraire).

Notre Haute cour a néanmoins eu l’occasion de préciser, dans un arrêt  2C_150/2016 du 22 mai 2017, certes rendu sous l’ancien droit mais qui reste d’actualité, la notion d’infraction de peu de gravité.

Selon les juges, le principe de la proportionnalité n’impose pas de réserver la sanction de l’interdiction de détacher des travailleurs en Suisse aux seuls cas de récidives. Une telle interdiction peut très bien s’appliquer à une première infraction lorsque celle-ci s’avère suffisamment grave. Par ailleurs, la sanction ne vise pas les seules violations aux règles de sécurité ou de santé en faveur des travailleurs, mais toutes les conditions minimales de travail que doit respecter l’entreprise étrangère qui détache du personnel en Suisse, notamment le temps de travail et le repos, qui de surcroit servent également la sécurité au travail.

Le Tribunal fédéral semble même aller plus loin et considérer que l’interdiction de prester doit être la règle, à moins de bénéficier d’une circonstance atténuante au sens du droit pénal transformant alors la violation en infraction de « peu de gravité ». Tel n’est manifestement pas le cas de l’entreprise qui accepte, d’entrée de cause, une violation des conditions de travail.

Notre Haute cour justifie ce principe par le fait que la sanction doit être efficace, proportionnée et dissuasive et qu’il s’agit, par la mesure de l’interdiction de détacher des travailleurs en Suisse, d’assurer le respect de prescriptions qui sont d’intérêt public, but atteint plus efficacement que par la simple amende.

Afin toutefois d’uniformiser la pratique entre les cantons, le SECO a établi des recommandations (les dernières en 2017) dans un catalogue de sanctions de la loi sur les travailleurs détachés.

Ainsi par exemple, le défaut de notification de travailleurs détachés (jusqu’à 5 personnes) entraîne le paiement d’une amende de CHF 500 la première fois, celle-ci étant doublée à chaque nouvelle infraction jusqu’au plafond de CHF 5’000. Une annonce tardive avant le début des travaux (par exemple hors délai des huit jours) fera l’objet d’un simple avertissement la première fois, puis d’une amende doublée à chaque récidive.

S’agissant des infractions aux conditions minimales de salaires, dans l’hypothèse d’une sous-enchère salariale de l’ensemble du personnel comprise entre CHF 100 et CHF 4’999 (au-dessous de CHF 100, un simple avertissement est généralement prononcé), l’amende est de 50% de la différence de salaire par rapport à celui calculé en Suisse, s’il s’agit de la première fois et si l’arriéré est au final payé au salarié par l’employeur fautif. En cas de non-versement de la différence salariale ou si le paiement n’est pas documenté l’amende est de 160%. A la deuxième infraction, les pourcentages grimpent respectivement à 60% et 170%, puis à 70%/180% à la troisième tentative.

Si le montant constaté de l’infraction salariale pour l’ensemble du personnel est compris entre CHF 5’000 et CHF 10’000, l’amende correspond à 160% de la différence de salaire ou une interdiction d’offrir des services pendant 12 mois s’il s’agit de la première fois et si l’arriéré n’est pas payé ou non documenté. En cas de paiement documenté des arriérés de la différence de salaire, l’amende est de 50% ou une interdiction de détachement pendant 12 mois.

A partir de CHF 10’001 et jusqu’à CHF 20’000, l’amende est dans la première hypothèse de 160% de la différence de salaire (jusqu’à un maximum de CHF 30’000) et une interdiction d’offrir des services pendant 12 à 24 mois est prononcée. Si le salaire est versé (deuxième hypothèse), l’amende est de 50% de la différence de salaire ou une interdiction d’offrir des services pendant 12 à 18 mois.

Si le montant de la sous-enchère salariale est compris entre CHD 20’001 et CHF 30’000, la sanction est de CHF 30’000 et une interdiction d’offrir des services pendant 24 à 36 mois dans la première hypothèse. Concernant la seconde hypothèse, les autorités ont le choix entre l’amende de CHF 30’000 ou l’interdiction de détachement pendant 18 à 24 mois.

Tout montant de sous-enchère salariale de CHF 10’000 supplémentaires entraîne une augmentation de la durée d’interdiction d’offrir des services pouvant aller jusqu’à 12 mois en cas de non-paiement des arriérés, et jusqu’à 6 mois lorsque les arriérés ont été payés. Comme précisé dans la loi sur les travailleurs détachés, la durée maximale d’interdiction d’offrir des services est de 5 ans.

Il ressort de ce qui précède que par le mécanisme de réduction de l’amende/de la durée d’interdiction de prester, l’employeur se voit ainsi mis sous une certaine pression pour payer les arriérés de salaire à ses employés.

A noter qu’en cas de montants élevés de l’infraction salariale sur un faible nombre d’employés concernés et d’une durée d’engagement courte, les autorités peuvent déroger à ce tarif. En effet, dans cette hypothèse l’infraction est bien plus grave puisque la différence salariale se concentre sur un plus petit nombre de travailleurs et une durée plus restreinte (moins de « dilution »).

S’agissant enfin des infractions aux conditions de travail, comme par exemple à la loi sur le travail (LTr), les sanctions sont fixées aux cas par cas.

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En conclusion, il convient de retenir que les sanctions prévues par la loi sur les travailleurs détachés ne sont de loin pas anodines. Si le paiement d’une amende peut être bien souvent assumé relativement aisément par l’entreprise sous l’angle financier, une interdiction de prester en Suisse peut avoir des conséquences dramatiques pour cette dernière. Un employeur averti en vaut ainsi deux !

En tant que spécialiste de l’immigration depuis plus de 15 ans, nos avocats sont à votre disposition pour répondre à vos questions et vous assister dans toute procédure administrative relative à une violation de la loi sur les travailleurs détachés, partout en Suisse et indifféremment en anglais, allemand, français ou italien.

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