Introduction
Au vu de l’accélération de la propagation du coronavirus (COVID-19) en Suisse, le Conseil fédéral a renforcé le 16 mars 2020 les mesures destinées à protéger la population. Il a qualifié la situation en Suisse de « situation extraordinaire » au sens de la loi sur les épidémies.
Toutes les manifestations publiques ou privées ont été interdites. Tous les magasins, restaurants, bars et établissements de divertissements et de loisirs (cinémas, musées, bibliothèques, centres sportifs, domaines skiables, etc.) ont été fermés jusqu’au 19 avril 2020, à l’exception notamment des magasins d’alimentation et des établissements de santé. Ont également dû fermer leurs portes les commerces dont les prestations impliquent un contact rapproché avec les clients, comme les salons de coiffure et autres centres esthétiques ainsi que les écoles et les crèches.
Le Conseil fédéral a introduit par ailleurs, outre avec l’Italie, des contrôles aux frontières avec l’Allemagne, la France et l’Autriche.
Enfin, il a approuvé le recours à l’armée (jusqu’à 8000 militaires) afin d’appuyer les cantons au niveau des hôpitaux, de la logistique et de la sécurité.
Au-delà de la crainte sanitaire, le coronavirus (COVID-19) suscite de nombreuses inquiétudes et interrogations au sein de la population, notamment en ce qui concerne les conséquences économiques de la perte de revenus. Jamais notre cabinet d’avocats n’a reçu autant d’appels tant d’employeurs que d’employés ; La question est toujours la même : « le salaire est-il maintenu ? »
Si la question est simple, la réponse est complexe, raison pour laquelle nous avons décidé d’émettre la présente note juridique sur les obligations des travailleurs et des employeurs en matière de salaire durant la pandémie.
A noter préalablement que face à cette crise exceptionnelle et inédite, la situation, y compris juridique, évolue de jour en jour. Nous livrons ici notre interprétation, sur la base des informations et des documents disponibles à ce jour. A ce stade, il n’est pas possible de donner des réponses définitives et notre point de vue est susceptible d’être modifié en fonction des décisions prises par les autorités. Des changements législatifs urgents sont également à prévoir. Nous n’abordons enfin pas les dispositions spéciales prévues par des contrats-types ou des conventions collectives qui contiennent parfois des clauses spécifiques.
1) Principes généraux du droit des contrats en matière de salaire face au coronavirus (COVID-19)
Le contrat de travail est un contrat synallagmatique, par lequel le travailleur a droit à un salaire, en contrepartie du travail accompli. L’intérêt de l’employeur est de recevoir le travail ; Celui de l’employé est de toucher son salaire. Partant, il serait logique de considérer que l’absence de prestation de la part du travailleur entraîne comme conséquence l’absence de rémunération du côté de l’employeur (« pas de travail, pas de salaire »).
Cette conception classique du droit des contrats est toutefois mise à mal en matière de droit du travail. En effet, comme nous le verrons ci-dessous, le salarié peut se prévaloir, à certaines conditions, d’un maintien de sa rémunération en cas d’empêchement non fautif de travailler.
Le point de départ de l’analyse juridique demeure le suivant : conformément à l’article 119 alinéa 1 du Code des obligations suisse (CO), l’empêchement non fautif de travailler représente juridiquement une impossibilité entraînant la libération du travailleur de son obligation de prester. Dans la mesure où le contrat de travail est un contrat bilatéral, l’employeur devrait, d’après l’article 119 alinéa 2 CO, être également libéré de fournir la contrepartie (le versement du salaire) de la prestation impossible. Cette règle ne vaut cependant que si la loi ou le contrat ne met pas le risque à la charge du second débiteur (article 119 alinéa 3 CO). Or, justement en matière de droit du travail, le Code des obligations suisse régit la question du risque aux article 324, 324a et 324b.
Ces dispositions, qui ont un objectif social, visent à mettre partiellement à la charge de l’employeur le risque d’incapacité de travail qui aurait dû en principe être supporté par le travailleur.
A titre préliminaire, il convient d’opérer une distinction fondamentale entre les causes d’empêchement de travailler : on distingue ainsi les causes subjectives et objectives d’incapacité. Les premières sont inhérentes à la personne du travailleur et entraînent l’application de l’article 324a CO, si les autres conditions sont réunies. Les secondes sont externes à la personne de l’employé et touchent généralement un grand nombre de travailleurs (par exemples inondations, guerres, catastrophes naturelles, etc.). L’article 324a CO est alors inapplicable dans cette hypothèse. Toutefois, il convient encore d’examiner si cette cause objective est la réalisation d’un risque d’entreprise ou d’un risque économique auquel cas l’article 324 CO pourrait trouver application (voir les explications à ce propos ci-dessous).
Par ailleurs, il faut encore distinguer si l’incapacité de travail est due à une quelconque faute ou non des parties. En résumé, on retrouve les situations suivantes :
– Incapacité de travail subjective non fautive du travailleur => libération de l’obligation de travailler, prétention au salaire fondée sur l’article 324a CO si les conditions sont remplies ;
– Incapacité de travail objective non fautive du travailleur => libération de l’obligation de travailler, prétention au salaire uniquement si l’impossibilité est la réalisation d’un risque d’entreprise ou économique (articles 119 et 324 CO) ;
– Incapacité de travail fautive du travailleur => obligation de travailler qui se transforme en une obligation de dédommager l’employeur et pas de prétention au salaire (articles 97 et 321e CO) ;
– Incapacité de travail non fautive du fait de l’employeur => libération de l’obligation de travailler et selon nous prétention au salaire uniquement si l’employeur doit supporter le risque d’entreprise ou le risque économique (articles 119 et 324 CO applicables par analogie, mais la loi ne règle pas expressément la question = lacune) ;
– Incapacité de travail fautive de l’employeur => libération de l’obligation de travailler et prétention au salaire sans restriction (article 324 CO) ;
– Incapacité de travail imputable à aucune des parties => libération de l’obligation de travailler (article 119 CO) et prétention au salaire si les conditions des articles 324, 324a ou 324b CO sont remplies.
Nous proposons de passer en revue les diverses situations qui peuvent se présenter en lien avec l’épidémie du coronavirus (COVID-19) et d’analyser les conséquences juridiques sur le droit au salaire.
2) Maladie et suspicion de coronavirus (COVID-19)
Tout d’abord, si l’employé est atteint du coronavirus (COVID-19) et partant inapte au travail pour cause de maladie, il a droit au versement de son salaire.
En effet, l’article 324a alinéa 1 CO stipule que « si le travailleur est empêché de travailler sans faute de sa part pour des causes inhérentes à sa personne, telles que maladie, accident, accomplissement d’une obligation légale, […] l’employeur lui verse le salaire pour un temps limité, y compris une indemnité équitable pour le salaire en nature perdu, dans la mesure où les rapports de travail ont duré plus de trois mois ou ont été conclus pour plus de trois mois. »
Cette solution doit également être retenue si l’employé, sans avoir été formellement diagnostiqué atteint du coronavirus (COVID-19) ou subi un dépistage, présente les symptômes de la maladie et se place lui-même en quarantaine, selon les directives de l’Office fédéral de la santé. Idem, si un médecin lui ordonne de se mettre en quarantaine parce qu’il est une personne à risque ou si la maladie concerne l’un de ses proches au vu des risques de transmission de celle-ci (dans ce cas toutefois, l’APG prévues par l’article 2 O-COVID-19 APG devrait s’appliquer). La bonne foi du salarié est ici déterminante (peu importe qu’il soit au final malade ou non), dans la mesure où le dépistage est désormais réservé aux personnes à risques uniquement. Attention toutefois, le salarié doit toujours se trouver dans une incapacité de travailler (avoir des symptômes ou être malade ne signifie pas ipso facto une incapacité de travail par exemple si le télétravail est possible).
Dans la pratique, l’employeur peut normalement exiger la présentation d’un certificat médical (généralement après 3 jours d’absence). Toutefois, au vu de la situation exceptionnelle (débordement des services médicaux et des médecins, nombre de personnes touchées, etc.), on ne saurait exiger de l’employé la production d’un tel document immédiatement, sous réserve de soupçons d’abus. L’OFSP recommande d’ailleurs aux employeurs de faire preuve de souplesse et de ne pas exiger de certificat médical avant le 5ème jour d’absence, afin d’éviter de surcharger les établissements de santé. L’employé peut toujours prouver sa maladie par d’autres moyens (témoignage de proches, etc.).
Bien entendu, l’atteinte au coronavirus (COVID-19) ne doit pas être imputable à l’employé. Tel sera le cas si l’employé s’est lui-même rendu dans une zone à risque, par exemple pour les vacances ou s’il a agi au mépris de toutes les règles de prudence et d’hygiène. Dans cette hypothèse, l’application de l’article 324a CO devrait être exclue bien qu’il soit aujourd’hui très difficile, pour ne pas dire impossible, de déterminer quelle zone est à risque, dans la mesure où le monde entier est touché par la pandémie et que l’on ne peut en aucun cas empêcher un travailleur de partir en vacances.
La durée du versement du salaire (à 100%) est calculée équitablement sur la base des années de travail selon des échelles développées par la pratique (échelle bernoise, zurichoise ou bâloise). A Genève, qui applique l’échelle bernoise, l’employé a ainsi droit à 3 semaines de salaire pendant la première année de service, à 1 mois dès la deuxième, à 2 mois dès la troisième et à 3 mois dès la cinquième.
Si l’employeur a conclu une assurance perte de gain maladie en faveur du salarié, il aura généralement droit à 80% de son salaire pendant 730 jours au maximum, souvent après un délai de d’attente de quelques jours. Il convient toutefois de vérifier que les conditions générales de l’assurance perte de gain maladie n’excluent pas expressément les épidémies et les pandémies de leur couverture d’assurance.
3) Salaire et fermeture ordonnée par les autorités, le lieu de travail inaccessible ou mise en quarantaine
Dans l’hypothèse où l’employé ne peut pas se rendre à son lieu de travail car ce dernier se trouve dans une zone interdite d’accès par les autorités, parce que le local est tout simplement fermé sur décision de celles-ci ou parce que la population est mise en quarantaine, l’employeur est en mesure d’exiger que l’employé travaille depuis la maison (télétravail) pour autant que l’activité s’y prête, la situation devant être examinée au cas par cas. En effet, cette mesure s’inscrit dans le droit de donner des instructions de l’employeur (article 321d CO). L’entreprise doit bien entendu mettre à disposition les outils de travail nécessaires (ordinateurs, connexion aux serveurs, etc.) et prendre en charge les éventuels coûts supplémentaires.
A noter que le télétravail peut théoriquement poser des difficultés au niveau des travailleurs frontaliers en lien avec le paiement des charges sociales et l’impôt à la source : en effet, si le salarié exerce plus de 25% de son temps de travail annuel en France, il est soumis aux charges sociales françaises. S’agissant de l’impôt à la source, il n’y a actuellement aucune règle fiscale entre Genève et la France mais nous savons que l’Hexagone a signé un accord avec le Luxembourg imposant une durée maximum de 29 jours pour le télétravail. Au vu de la situation exceptionnelle résultant du coronavirus (COVID-19) et de la ponctualité du travail à domicile, nous estimons que l’assujettissement des frontaliers tant à la sécurité sociale qu’à l’impôt à la source ne devrait pas être modifié. Les autorités françaises ont sans doute également autre chose à penser en ce moment, mais une certaine sécurité juridique de la part de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) permettant de maintenir l’assujettissement en Suisse serait souhaitable.
Si le télétravail n’est pas possible, la situation juridique peut s’avérer complexe. Il convient selon nous d’examiner au cas par cas les raisons de l’impossibilité et d’en tirer les conséquences.
Il ne fait aucun doute que les situations énumérées ci-dessus relèvent d’une impossibilité contractuelle imputable à des circonstances objectives extérieures, tant au travailleur qu’à l’employeur. En effet, la fermeture des frontières ou des locaux sur décision des autorités ainsi que la mise en quarantaine de la population sont des mesures qui touchent un nombre important de travailleurs et ne résultant pas de leur situation personnelle propre. Par ailleurs, aucune des deux parties ne peut être considérée comme fautive. Dès lors, seule une application des articles 119 alinéa 2 ou 324 CO peut entrer en ligne de compte.
L’article 324 alinéa 1 CO qui traite de la demeure de l’employeur prévoit que :
« Si l’employeur empêche par sa faute l’exécution du travail ou se trouve en demeure de l’accepter pour d’autres motifs, il reste tenu de payer le salaire sans que le travailleur doive encore fournir son travail. »
Il ressort de cette disposition que l’employeur se trouve en demeure dans les deux cas suivants : 1) lorsqu’il refuse d’accepter une prestation de travail qui serait possible (par exemple en libérant l’employé de travailler ou en l’empêchant), ou 2) lorsqu’il n’est pas en mesure d’accepter la prestation de travail offerte par le salarié (par exemple, il n’a pas commandé le matériel nécessaire, il n’a libéré aucun poste de travail, etc.).
La jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 4A_291/2008 du 2 décembre 2008) a également retenu l’application de l’article 324 CO aux situations où l’exécution du travail est objectivement impossible pour des motifs survenant dans la sphère de l’employeur, la faute de celui-ci étant ici sans incidence. L’idée est qu’il appartient à l’employeur de supporter le risque inhérent à l’activité économique de celui-ci (ATF 125 III 65 = JdT 2000 I 355). Or, la question centrale est celle de savoir ce qui entre dans le risque d’entreprise à la charge de l’employeur. A cet égard, la jurisprudence n’a à ce jour pas encore défini les contours précis de cette notion. La doctrine pour sa part est partagée, incluant parfois les catastrophes naturelles ou les décisions d’autorité reposant sur des raisons de police, de sécurité ou d’intérêt général comme relevant du risque d’entreprise. Selon nous, il ne fait aucun doute que des motifs économiques, tels qu’une baisse des commandes, un effondrement des cours de la monnaie ou un risque d’insolvabilité ainsi que des perturbations techniques (interruptions de courant, panne des machines, manque de matériel ou de personnel, grève des transporteurs, etc.) sont des risques d’entreprise.
Transposés à la situation actuelle du coronavirus (COVID-19), nous pensons que la fermeture, sur décision des autorités, de certains secteurs d’activités comme la restauration ou les commerces devrait être considérée comme des risques de l’entreprise incombant à l’employeur (le salaire étant dans ce cas dû). En effet, même si les mesures ordonnées ne touchent pas qu’une entreprise en particulier, celles-ci n’affectent en l’état pas toute l’économie dans sa globalité, mais sont restreintes à certains secteurs économiques bien précis qui impliquent notamment une relation étroite avec le public. L’employeur, actif par exemple dans la restauration, est soumis à des règles sanitaires stricts et doit s’attendre à ce que son restaurant puisse être fermé en cas d’épidémie.
En revanche, dans l’hypothèse d’une fermeture des frontières ou d’une mise en quarantaine générale de la population, l’article 324 CO ne devrait pas trouver application. Il en va de même si l’employeur ne peut garder ses employés sur leur lieu de travail, car les conditions d’exercice de l’activité en ce lieu ne permettent pas de respecter les recommandations de l’OFSP en matière d’hygiène et d’éloignement social. En effet, cela reviendrait à transférer n’importe quel risque (comme par exemple celui lié à une guerre) à l’employeur. Tel n’a pas été la volonté du législateur. Ainsi, dans ces derniers cas, les obligations réciproques des parties sont suspendues et chacune des parties est libérée de ses obligations envers l’autre. L’employeur n’a pas, à notre avis, à verser le salaire à l’employé en vertu de l’article 119 CO. Les règles sur le chômage partiel ne devraient alors en théorie (uniquement) pas être applicables. Nous pensons que l’article 63 de la loi sur les épidémies pourrait alors entrer en ligne de compte, permettant à l’autorité d’indemniser les personnes qui subissent un dommage dû aux mesures prises. En tout état de cause, l’employeur à une obligation de diligence vis-à-vis de ses employés et il doit accomplir les actes nécessaires à la préservation de leurs intérêts. Ainsi, si la mesure de chômage partiel est disponible, il doit la demander pour ses employés.
A noter encore que la réalisation d’un risque d’entreprise ou économique ne représente jamais un juste motif de licenciement avec effet immédiat (article 337 CO).
4) Difficultés économiques de l’employeur, baisse des commandes, chômage partiel et salaire
Comme il l’a été relevé ci-dessus, l’employeur supporte le risque d’exploitation et le risque commerciale. Ainsi, si l’employeur souffre d’une baisse de ses commandes ou de son chiffre d’affaires en raison du coronavirus (COVID-19) et n’est plus en mesure d’occuper son personnel, il doit quand même supporter les conséquences et rémunérer ses employés (article 324 CO).
Bien entendu, l’entreprise est libre de procéder au licenciement de ses employés sous contrat à durée indéterminée. Elle doit toutefois respecter les délais de congé (articles 335b et 335c CO). Comme déjà indiqué, les difficultés et problèmes survenant dans la sphère du risque de l’entreprise (par exemple, perte de marché, diminution des commandes, dépôt de bilan, etc.) ne justifient jamais un licenciement immédiat au sens de l’article 337 CO. Il en va de même de l’empêchement non-fautif du salarié de travailler, fût-il durable (article 337 alinéa 3 CO). Les règles sur les licenciements collectifs doivent en outre être respectées (articles 335d et suivants CO). Enfin, sauf pour le travail intérimaire, un employeur ne peut en principe pas licencier un travailleur soumis à un contrat de travail à durée déterminée, celui-ci prenant automatiquement fin à l’échéance légale ou convenue. La théorie de l’imprévision pourrait toutefois peut-être entrer en ligne de compte dans le cadre du coronavirus (COVID-19).
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Le 13 mars 2020, le Conseil fédéral a décidé la mise en place de mesures compensatoires afin de pallier cette situation exceptionnelle. Un fonds à hauteur de CHF 10 milliards notamment pour l’assurance-chômage a été débloqué. Lors de sa séance du 20 mars 2020, ce montant a été porté à CHF 42 milliards en plus d’autres mesures (aide immédiate sous la forme de crédits transitoires spécifiques, report du versement des contributions aux assurances sociales, suspension des poursuites et des faillites et report sans intérêt moratoire des délais de versement de l’impôt fédéral direct et de la TVA notamment). D’après une étude, le coût total pourrait plutôt avoisiner les CHF 100 milliards, illustrant d’une part combien les dégâts pour l’économie suisse vont être importants et d’autre part la surcharge des autorités et les délais astronomiques qui vont être nécessaires pour traiter les dossiers, et ce malgré des procédures simplifiées.
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Également appelée chômage partiel, l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) est une prestation de l’assurance-chômage (articles 31 et suivants LACI et 46 à 64 OACI) prévue pour les travailleurs qui ne peuvent plus être pleinement occupés à cause d’une diminution du travail à disposition.
Ainsi, l’assurance-chômage couvre une partie du salaire pour lequel aucune prestation professionnelle n’a été fournie. La RHT constitue un régime spécial par rapport à l’article 324 CO destinée à maintenir les emplois. Si le travailleur accepte cette option (tant les salariés que l’employeur doivent participer aux coûts, raison pour laquelle les salariés doivent donner leur consentement), l’employeur reste certes en demeure, mais les règles de la loi sur l’assurance-chômage (LACI) permettent une réduction temporaire de salaire.
L’entreprise peut bénéficier de la RHT dans deux cas : 1) en cas de mesures prises par les autorités ou d’autres circonstances indépendantes de la volonté de l’employeur faisant subir à l’entreprise une baisse d’activité (par exemple, la fermeture de certains commerces, perte de clientèle à cause de l’annulation de manifestations due à une interdiction de rassemblement) ; 2) ou si l’entreprise subit une perte d’activité et que cette perte est due à des raisons économiques, c’est-à-dire une baisse du carnet de commande ou du chiffre d’affaires.
Aussi, la RHT n’est admissible que lorsqu’elle est vraisemblablement temporaire et qu’on peut admettre qu’elle permettra de maintenir les emplois (les contrats de travail ne doivent pas avoir été résiliés). Par ailleurs, la perte d’activité inévitable (au minimum 10% par rapport aux horaires normaux, vérifiable par les autorités) ne doit pas être liée à des circonstances qui relèvent du risque normal d’exploitation. Selon le SECO, la situation actuelle avec le coronavirus (COVID-19) correspond parfaitement à cet état de fait. Toutefois, la référence au coronavirus (COVID-19) ne suffit pas à justifier un droit à l’indemnité RHT. L’entreprise doit toujours exposer de manière détaillée les raisons pour lesquelles les pertes de travail attendues sont à mettre sur le compte de l’apparition du coronavirus (COVID-19). Il doit exister un rapport de causalité adéquat entre l’apparition du virus et la perte de travail.
L’assurance couvre alors 80% de la perte de gain (heures de travail perdues). L’employeur doit avancer l’indemnité (à la date du jour de paie habituel) et prendre à sa charge les cotisations aux assurances sociales comme si la durée du travail était normale (payer la part employeur des charges sociales sur 100% du salaire).
Ainsi par exemple, si les employés à plein temps ne peuvent plus du tout travailler, ils toucheront 80% de leur salaire. Si les employés subissent en revanche une baisse de travail de 40%, ils percevront 80% des 40%, soit 32%. En plus, l’employeur devra dans ce cas payer normalement le 60% correspondant au temps de travail effectué.
A noter que le salaire assuré maximal s’élève à CHF 148’200 par an, soit CHF 12’350 francs par mois.
Suite au coronavirus (COVID-19), l’indemnité peut être versée à partir du 3ème jour dès le dépôt de la demande (délai de préavis). Par ailleurs, le délai d’attente habituel de 2 ou 3 jours a été totalement supprimé et ce peu importe la période de décompte (une période de décompte correspondant à un mois civil entamé, complet ou non). L’entreprise peut obtenir des indemnités pendant 12 périodes sur une période de deux ans, étant précisé que chaque demande ne peut s’étendre que sur trois mois. Il faut donc renouveler la demande tous les trois mois. Attention toutefois, lorsque pendant le délai cadre de 2 ans, la perte de travail excède 85% de l’horaire normal de travail durant plus de 4 mois, consécutifs ou isolés, seuls les 4 premiers mois donnent droit à l’indemnité. Enfin, les salariés ne sont pas tenus de liquider leurs heures supplémentaires avant de pouvoir bénéficier du chômage partiel.
Si les conditions sont remplies, l’entreprise doit remplir le formulaire « demande de préavis de réduction de l’horaire de travail », disponible sur le site du SECO ou des offices cantonaux de l’emploi (Genève, etc.). La procédure a été simplifiée dans le cadre du coronavirus (COVID-19).
Les personnes qui travaillent contre rémunération dans l’entreprise et qui fixent ou peuvent influencer considérablement les décisions prises par l’employeur en qualité d’associé, de membre d’un organe dirigeant de l’entreprise ou encore de détenteur d’une participation financière, de même que leur conjoint ou leur partenaire enregistré ont exceptionnellement droit à la RHT (indemnisation forfaitaire de CHF 3’320.- pour un poste à plein temps s’agissant des conjoints et des partenaires enregistrés). Les apprentis, les travailleurs sous contrat à durée déterminée et les travailleurs temporaires (en mission pour le compte d’une entreprise intérimaire) sont aussi depuis le 20 mars 2020 inclus dans le chômage partiel.
Enfin, depuis le 20 mars 2020, les indépendants sont indemnisés pour la perte de gain en cas de fermeture des écoles, de quarantaine ordonnée par un médecin ou de fermeture d’un établissement géré de manière indépendante et ouvert au public, si elles ne bénéficient pas déjà d’une indemnité ou de prestations d’assurance. Les indemnités sont réglées sur la base du régime des allocations pour perte de gain et versées sous forme d’indemnités journalières correspondant à 80 % du salaire et plafonnées à CHF 196 par jour. L’examen des demandes et le versement de la prestation sont effectués par les caisses de compensation de l’AVS.
5) Mesures sur le lieu de travail, craintes et refus de se rendre au travail
L’employeur est tenu de protéger la santé des travailleurs conformément aux articles 328 CO et 6 de la loi sur le travail. En particulier, il doit prendre et payer toutes les mesures adéquates ainsi que respecter et relayer auprès de ses employés et des clients les recommandations des autorités (Office fédéral de la santé publique, Conseil fédéral, Conseil d’Etat du canton concerné) en matière d’hygiène, de rassemblement (5 personnes à Genève par exemple), de respect des distances, de fermeture des établissements, etc. Il est recommandé aux entreprises d’établir un plan de pandémie pour limiter la propagation au sein de l’entreprise et maintenir son activité (remplacer les voyages par des téléconférences, interdire les poignées de mains, encourager le télétravail, etc.).
Si l’employeur ne prend pas les mesures adéquates pour protéger la santé du travailleur, ce dernier doit le mettre en demeure de s’exécuter. Si celui-ci ne n’obtempère pas, il peut dénoncer le cas aux autorités (inspection cantonale du travail), saisir les tribunaux d’une action en exécution, suspendre sa prestation de travail en conservant son droit au salaire (articles 82 et 324 CO) ou résilier le contrat avec effet immédiat (article 337 CO). Le refus de travailler est possible uniquement si l’atteinte à la santé est manifeste et importante (danger concret). Il est recommandé à l’employé d’interpeller l’employeur préalablement et d’exiger la prise de mesures de protection appropriées avant de refuser de venir travailler, ceci afin d’éviter un licenciement pour abandon de poste. La situation est ici différente de celle en France où il existe un droit de retrait.
Si l’employé est contaminé par le coronavirus (COVID-19) sur son lieu de travail, la responsabilité de l’employeur peut être engagée si ce dernier n’a pas pris les mesures adéquates pour protéger la santé du travailleur (articles 41, 97 et 328 alinéa 2 CO). Il pourrait alors être tenu de réparer le préjudice matériel et moral.
L’employeur peut refuser à l’un de ses employés qu’il se rende au travail même si ce dernier est en bonne santé (par exemple mise en quarantaine suite à des vacances dans un pays à risque). Il peut exiger que celui-ci fasse du télétravail. En revanche, télétravail ou non, il doit alors payer le salaire en plein (article 324 CO) car seule une autorité peut décréter officiellement la mise en quarantaine. L’employé doit toutefois imputer sur son salaire ce qu’il a épargné ou gagné ailleurs du fait qu’il n’a pas travaillé pour son employeur.
Le salarié ne peut en revanche pas décider unilatéralement de rester chez lui par crainte de se faire contaminer sur son lieu de travail par un collègue ou parce qu’il serait en contact avec de la clientèle suspecte. Comme relevé ci-dessus, il faut prouver un danger concret résultant d’un défaut de protection des salariés de la part de l’employeur pour refuser de venir travailler.
6) Vacances et déplacements à l’étranger
Un employeur ne peut pas interdire à un salarié de se rendre à l’étranger pendant ses vacances où lui dicter le lieu de villégiature. Aussi, comme il l’a été relevé ci-dessus, le monde entier est aujourd’hui concerné par le coronavirus si bien qu’on peut difficilement reprocher à un employé d’avoir contracté la maladie par sa propre faute lors de vacances hors de Suisse pour refuser de payer son salaire (sous réserve de prouver que le salarié a pris des risques inconsidérés en ne respectant pas les directives de l’Office fédéral des affaires étrangères en matière de voyage par exemple). L’employeur n’a enfin pas à connaître le lieu de vacances de ses employés dans la mesure où cela ressort de la sphère privée de ceux-ci.
En revanche, si l’employé est bloqué à l’étranger parce que les autorités ont ordonné une quarantaine ou si les vols de retour sont annulés, l’employeur peut dans cette hypothèse refuser le versement du salaire sur la base des articles 119 CO ainsi que 324 et 324a CO a contrario. On se trouve en effet face à une incapacité de travail objective, non inhérente à la personne du salarié puisque touchant un nombre important de travailleurs, et ne pouvant être assimilée à un risque d’entreprise ou économique.
Des vacances forcées (article 329c CO) peuvent être ordonnées dans la mesure où elles apparaissent comme absolument nécessaires, en raison de circonstances extraordinaires mettant l’entreprise en sérieuses difficultés (baisse des commandes, du volume de travail, etc.). En outre, les problèmes rencontrés par l’entreprise doivent survenir de manière inattendue comme c’est le cas actuellement avec le coronavirus (COVID-19). L’appréciation de la gravité et de l’imprévisibilité des circonstances motivant la prescription de vacances forcées doit être stricte, dans la mesure où de telles vacances forcées constituent un moyen pour l’employeur de fixer des vacances de manière soudaine, sans respecter un quelconque délai de préavis, et représentent un risque pour le travailleur de ne pas pouvoir organiser cette période convenablement. De notre point de vue, au vu de la situation actuelle exceptionnelle, l’employeur pourrait être en mesure d’imposer des vacances forcées pouvant être déduites du droit annuel du travailleur, quand bien même le risque inhérent à l’activité économique appartient à l’employeur. Le problème tient toutefois au fait que les vacances sont censées permettre au travailleur de se reposer. La situation actuelle que présente le coronavirus (COVID-19) (confinement à la maison, peur de tomber malade, crise économique, impossibilité de se consacrer aux activités de son choix, etc.) ne se prête pas vraiment aux vacances. D’un autre côté, il apparait inéquitable de faire supporter à l’employeur la totalité des conséquences relatives au coronavirus (COVID-19), s’il ne peut pour une raison ou pour une autre bénéficier du chômage partiel. Imposer la prise de quelques jours de vacances, qui est au final dans l’intérêt des employés également, permettrait peut-être d’éviter des mises en faillite d’entreprises ultérieurement. Nous encourageons dès lors les salariés et les employeurs à se mettre d’accord sur la prise de vacances durant cette période de pandémie. Cas échéant les tribunaux se prononceront sans doute aux cas par cas et la proportionnalité de la mesure (par exemple 5 jours de vacances imposés sur les 25 jours annuels de congé) sera sans doute déterminante.
Enfin, un employé ne peut en principe pas refuser de voyager pour des raisons professionnelles tant que cela est prévu par le contrat de travail et qu’aucune restriction n’a été émise par le Département fédéral des affaires étrangères (ces dernières sont à notre sens déterminantes). Les travailleurs doivent se conformer aux obligations reçues par l’employeur (article 321d CO) sous réserve de la protection de leur droit à la personnalité ou d’une mise en danger de leur santé. Bien entendu, il est dans l’intérêt de l’employeur que ses salariés ne se fassent pas contaminer et une appréciation au cas par cas devrait être effectuée. Si les employés refusent de voyager sans raison légitime, cela peut être considéré comme un abandon injustifié de leur emploi. L’employeur serait en droit de retenir une indemnité forfaitaire correspondant au quart de leur salaire brut et la réparation du dommage supplémentaire (article 337d alinéa 1 CO).
7) Enfants et salaire
L’article 36 alinéa 3 LTr prévoit que l’employé peut s’absenter du travail au maximum trois jours pour s’occuper de son enfant malade. Durant ce délai, il doit trouver un autre mode de garde.
La pandémie du coronavirus (COVID-19) complique lourdement les choses (les écoles, garderies et crèches sont totalement ou partiellement fermées, les grands-parents ne doivent pas être sollicités selon l’Office fédéral de la santé publique, etc.).
Partant, le délai de 3 jours imposé par la loi (et applicable uniquement en cas de maladie de son enfant) est aujourd’hui totalement inadapté. Rappelons d’ailleurs que tout parent a l’obligation légale de s’occuper de ses enfants, notamment malades ou qui ne peuvent pas être gardés par quelqu’un d’autre (article 276 du Code civil suisse).
Au vu de la situation exceptionnelle, nous estimons que les familles qui ne sont raisonnablement pas en mesure de faire garder leurs enfants par l’un des parents (par exemple suite à la réquisition du personnel hospitalier, à un ordre de marche de l’armée, à l’impossibilité de faire du télétravail, etc.), par des proches ou des tiers sont libérées de l’obligation de travailler. La question de l’âge n’est pas définitivement tranchée mais on peut raisonnablement considérer qu’un enfant de 14 ans est en mesure de s’occuper seul de lui durant la journée.
En tout état de cause, l’employeur doit dans ces situations privilégier le télétravail en gardant à l’esprit que le salarié ne pourra pas fournir le même temps de travail que s’il est à son poste au bureau, dans la mesure où il est compliqué de se concentrer sur sa tâche quand des enfants sont à proximité.
S’agissant du salaire, nous estimons que si l’enfant est atteint du coronavirus (COVID-19), l’obligation de verser le salaire est fondée sur l’article 324a CO (impossibilité subjective de travailler non fautive). A noter que l’article 324a CO ne concerne pas les proches sauf si le travailleur doit prendre soin du proche malade à raison d’une obligation légale, durant le temps nécessaire à la recherche d’une solution de substitution.
La question est beaucoup plus délicate s’agissant de la garde d’enfants en raison de la fermeture générale des écoles. En effet, si l’on considère qu’il ne s’agit là pas d’une impossibilité liée à la personne du travailleur (car touchant un nombre très important de travailleurs), le salarié n’aurait théoriquement pas droit à son salaire, les articles 324a et 324 CO n’étant pas applicable (s’agissant de ce dernier article on ne peut en effet pas parler de risque d’entreprise ou de risque économique à charge de l’employeur). Tout au plus, l’employé pourrait prétendre à son salaire pour quelques jours sur la base de l’article 329 alinéa 3 CO qui traite des congés usuels (par exemple déménagement, mariage, décès dans la famille, etc.), bien que formellement cette base légale ne règle pas la question du salaire (formellement l’article 322 CO est seul applicable).
Pour notre part, au vu de la situation exceptionnelle provoquée par le coronavirus (COVID-19) nous estimons en l’état que l’employé qui doit s’occuper de ses enfants parce que la crèche ou l’école est fermée sur ordre des autorités doit être rémunéré sur la base de l’article 324a CO, dans la mesure où cela repose sur l’accomplissement de l’obligation légale des parents de s’occuper de ses enfants (article 276 CC). En revanche, l’employé ne peut pas refuser de travailler s’il renonce à mettre ses enfants à l’école par crainte du coronavirus (COVID-19).
Lors de sa séance du 20 mars 2020, le Conseil fédéral a de facto réglé la question en annonçant que les parents qui doivent interrompre leur activité professionnelle pour s’occuper de leurs enfants peuvent prétendre à une indemnisation fondée sur la base du régime des allocations pour perte de gain (allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité) et versées sous forme d’indemnités journalières. Celles-ci correspondent à 80 % du salaire et sont plafonnées à 196 francs par jour.
Conclusion
Il est indéniable qu’il aura un « avant et un après » coronavirus (COVID-19). Toutefois, personne ne peut aujourd’hui prévoir les conséquences économiques qui nous attendent à moyen et long terme.
Ce qui est sûr, c’est que les préjudices causés à certains secteurs comme le tourisme, les commerces ou la restauration sont déjà significatifs. L’indemnité de réduction de l’horaire de travail peut dans une certaine mesure les atténuer.
Les questions liées au droit du travail sont techniques et force est d’admettre que la loi n’a pu anticiper totalement cette situation inédite. Certaines clarifications et modifications législatives urgentes sont souhaitables. Dans l’intervalle, nous ne pouvons qu’encourager le télétravail et les employeurs/employés à se mettre d’accord pour trouver des solutions acceptables pour tous. La flexibilité et la bonne foi des parties nous semblent primordiales dans cette crise.
Nous demeurons bien entendu à votre disposition pour toutes questions ou aide dans la déclaration de réduction de l’horaire de travail et en matière de droit du travail.