I) Introduction
II) Coronavirus (Covid-19) et voyages à forfait
A. Droit applicable
B. Définition du voyage à forfait
C. Annulation du voyage en raison du coronavirus (Covid-19)
III) Transport aérien et coronavirus (Covid-19)
A. Droit applicable
B. Droits des passagers en lien avec le coronavirus (Covid-19)
IV) Croisières/transport de passagers et coronavirus (Covid-19)
A. Droit applicable 16
B. Responsabilité du transporteur en cas d’atteinte au coronavirus (Covid-19)
C. L’annulation du voyage
V) Annulation d’autres prestations touristiques (guides, excursions, manifestations, etc.)
A. Droit applicable
B. Considérations générales
C. Impossibilité objective non-fautive selon la partie générale du CO
D. Impossibilité subjective non-fautive selon la partie générale du CO
E. Les règles spéciales du CO
F. Conditions générales et force majeure
G. Exorbitance et imprévision
VI) Coronavirus (Covid-19) et annulation d’hôtels
VII) Coronavirus (Covid-19) et assurances annulation
Introduction
Le coronavirus (Covid-19), qualifié le 11 mars 2020 de pandémie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), contraint aujourd’hui au confinement près de 3 milliards d’individus, aurait infecté 800’000 personnes et causé plusieurs dizaines de milliers de décès. L’Europe est actuellement le principal foyer de la contagion.
Des mesures d’une ampleur inédite sont prises quotidiennement par les gouvernements. Les économies nationales ont de la peine à encaisser le choc malgré des promesses d’aides étatiques ambitieuses (par exemple en Suisse, le Conseil fédéral a arrêté un train de mesures à hauteur de 42 milliards de francs en vue d’atténuer l’impact économique de la propagation du coronavirus (Covid-19)).
Parmi les secteurs les plus touchés figurent le tourisme, l’hôtellerie et les transports de voyageurs : annulations, fermeture des frontières et des commerces, mise en quarantaine de la population, autant de mesures qui auront de lourdes conséquences financières pour ces branches, au-delà de l’actuelle gestion du pur risque sanitaire (danger de contamination du personnel et des clients).
Cette situation sans précédent soulève de nombreuses questions juridiques notamment pour les consommateurs.
A ne pas en douter, le débat se focalisera dans les mois et les années à venir autour du contentieux des annulations et des indemnisations (les retards sont moins concernés dans le contexte actuel).
A travers cette note juridique, nous proposons de passer en revue l’impact en Suisse du coronavirus (Covid-19) sur certains contrats de consommation dans le domaine du tourisme. Bien entendu, il est impossible de traiter toutes les situations mais nous espérons que vous pourrez trouver quelques pistes de réponse.
Nous aborderons successivement les contrats de voyages à forfait, puis les contrats de transport par avion et bateau, les contrats d’hébergement ainsi que les autres contrats de prestations touristiques (excursions et manifestions), pour terminer par quelques remarques sur les indemnisations possibles par les assurances (assurances annulation, etc.).
Pour le surplus, nous nous tenons à votre entière disposition pour toute question que vous pourriez avoir en particulier si votre cas n’était pas traité par la présente note.
Coronavirus (Covid-19) et voyages à forfait
A titre préliminaire, on précisera qu’il appartient avant toute chose au consommateur d’examiner attentivement si sa situation juridique relève du voyage à forfait ou au contraire s’il a conclu chaque contrat individuellement (vols secs, hébergement choisi séparément, etc.), auquel cas les démarches seront plus nombreuses (la présente section étant alors inapplicable).
Droit applicable
Le contrat de voyage à forfait est soumis à la Loi fédérale du 18 juin 1993 sur les voyages à forfait (LVF), elle-même indirectement basée sur l’ancienne Directive européenne 90/314 du 13 juin 1990, aujourd’hui abrogée et remplacée par la nouvelle Directive 2015/2302 du 25 novembre 2015. La règlementation suisse est complétée par le Code des obligations suisse, dans la mesure où la loi n’y déroge pas. A noter que les dispositions du texte légal sont relativement impératives, dans le sens que le voyagiste ne peut y déroger (par exemple dans les conditions générales) en défaveur du voyageur, sauf dans les cas expressément prévus par celui-ci (article 19 LVF).
Comme nous le verrons ci-dessous, la loi suisse est aujourd’hui désuète et, contrairement au droit européen, ne tient pas compte des évolutions technologiques de ces dernières années, en particulier des réservations en ligne.
A noter que dans les situations internationales, le droit suisse sera applicable pour autant que la résidence habituelle du consommateur (c’est-à-dire du voyageur) se trouve en Suisse et que les conditions de l’article 120 de la Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) soient remplies. Une élection de droit dans le contrat est alors nulle sauf s’il s’agit d’un voyage d’affaires (dans cette dernière hypothèse en l’absence d’une telle élection de droit, l’article 117 LDIP est alors applicable).
Définition du voyage à forfait
On entend par voyage à forfait, le contrat par lequel une personne, l’organisateur ou le voyagiste, promet à une autre, le consommateur ou le voyageur, une combinaison de prestations touristiques moyennant le paiement d’une somme globale. La combinaison, offerte à un prix tout compris, dépassant 24 heures ou incluant une nuitée, doit comprendre au moins deux des prestations suivantes : le transport, l’hébergement ou d’autres services touristiques qui ne sont pas accessoires à ces deux prestations et qui représentent une part importante de la prestation globale (par exemple, un tour de ville, des cartes d’entrée pour les musées ou le théâtre, un guide touristique ou de randonnée, des cours de ski, des excursions, la location de la voiture, etc., mais non la demi-pension ou la pension complète, le trajet de l’aéroport à l’hôtel par un taxi ou une voiture privée, la mise à disposition d’une couchette dans un train ou un ferry ou encore la nourriture à bord d’un avion). A noter que la seule location d’un voilier avec équipage permettant à la fois le transport et l’hébergement n’est pas une combinaison de prestations principales.
Tombent sous le coup de la loi typiquement les prestations offertes par les agences de voyages, comme Globus Voyages, Kuoni, Hotelplan, etc., peu importe que les combinaisons soient proposées dans un prospectus ou que le voyage soit organisé sur mesure selon les souhaits du voyageur.
S’agissant de la réservation de voyages par le biais de plateformes en ligne, la question de savoir si ces prestataires sont soumis à la LVF est ardue. Aussi, force est d’admettre que la Suisse est à la traîne en la matière, contrairement à l’Union européenne qui a récemment modifié sa directive afin d’y intégrer spécifiquement le commerce électronique, en élargissant la définition de voyages à forfait et en créant un nouveau régime spécifique, dit de prestations de ventes liées. Quoi qu’il en soit, nous estimons à l’heure actuelle que des plateformes comme booking.com ou trivago.ch ne sont a priori pas soumises à la LVF car elles ne proposent en principe pas la combinaison de prestations touristiques, mais une seule prestation (l’hôtel) (la question de la redirection par ces sites internet à d’autres sites partenaires, permettant de réserver en même temps ou juste après un vol ou une location de voiture pose problème). En revanche, ebookers.ch se profile clairement comme un organisateur de voyages à forfait.
Annulation du voyage en raison du coronavirus (Covid-19)
L’organisateur qui s’est engagé à l’obligation d’exécuter les prestations promises. En cas d’annulation par le voyagiste avant le départ pour un motif non imputable au consommateur, le contrat peut être résolu par ce dernier et implique une restitution de toutes les sommes versées, sans déduction pour le travail effectué ou les frais engagés par le voyagiste avant la déclaration de résolution (remboursement total avec intérêts, articles 10 al. 3 let. c et 11 al. 1 LVF).
Il y a notamment annulation du contrat lorsque l’exécution est devenue objectivement impossible au sens de l’article 119 CO. Dans le cadre du coronavirus (Covid-19), on pensera par exemple aux situations suivantes : annulation des vols ou d’une croisière, fermeture de l’hôtel, des musées, des salles de spectacle ou du domaine skiable, confinement de la population ou encore interdiction d’exercer (guide touristique ou guide de montagne, etc.).
A noter que le voyagiste doit proposer au consommateur un autre voyage. Si ce dernier accepte l’offre, il ne doit payer aucune différence de prix lorsque le voyage est de qualité supérieure au précédent ; si le nouveau voyage est de qualité inférieure, il peut demander la différence de prix. Le voyageur doit informer le voyagiste dans les plus brefs délais de son choix de mettre fin au contrat.
Les dispositions relevées ci-dessus sont impératives et le voyagiste ne peut modifier en défaveur du voyageur le régime légal par le biais des conditions générales. Dans le cadre de la préparation de cet article, nous avons remarqué que certains voyagistes ne respectent pas totalement la LVF dans leurs CGV, en déduisant par exemple les frais de dossier du remboursement des prestations, ce qui est illégal. La prudence est donc recommandée au consommateur de ne pas se fier aveuglément aux conditions générales des voyagistes.
En revanche, le consommateur ne peut prétendre à aucun dommages-intérêts lorsque l’annulation est le fait d’un cas de force majeure (article 11 al. 2 LVF). On entend par force majeure, un événement extérieur, extraordinaire et imprévisible survenant avec une force irrésistible qui s’oppose à l’organisation du voyage. L’épidémie/la pandémie du coronavirus (Covid-19) correspond parfaitement à cet état de fait. Ainsi, au-delà du remboursement intégral de son voyage annulé, le voyageur ne peut pas prétendre à des dommages-intérêts contre l’agence de voyage dans le cadre de la pandémie du coronavirus (Covid-19).
S’agissant de la situation où l’impossibilité survient après le départ, le consommateur peut résilier le contrat et partant refuser la continuation du voyage aux conditions suivantes : une prestation importante ne peut être fournie par le voyagiste (on parle de défaut grave comme par exemple dans le cadre du coronavirus la fermeture de l’hôtel ou du domaine skiable si des cours de ski étaient prévus, la mise quarantaine de la population empêchant la visite de la ville, etc. ; Des modifications de peu d’importance comme un léger retard des vols, ou des simples désagréments comme de brèves restrictions de visite ou d’utilisation d’installations ne sauraient être des défauts permettant au consommateur de se prévaloir des articles 12 et suivants LVF.) et une mesure de remplacement ne peut être fournie par ce dernier, ou le voyageur refuse cette mesure de remplacement pour un juste motif. L’agence de voyage a alors l’obligation de rapatrier le consommateur (article 13 LVF). Ce voyage de retour n’implique aucun supplément de prix mais doit être considéré comme une prestation fournie dans le calcul du remboursement partiel du prix au sens de l’article 13 al. 3 LVF. Ce droit à la garantie suppose que le consommateur ait adressé par écrit ou sous toute autre forme appropriée une réclamation à l’organisateur dans les plus brefs délais (article 12 LVF).
En revanche, le consommateur doit payer toutes les prestations effectivement fournies, même si son voyage est complètement « raté ». Seules les prestations non fournies doivent être restituées. Par ailleurs, en cas de force majeure, comme c’est le cas avec la situation actuelle du coronavirus (Covid-19), le voyageur ne peut prétendre au versement de dommages-intérêts supplémentaires de la part du voyagiste (article 15 al. 1 let. c LVF).
La situation juridique est beaucoup plus complexe lorsque ce n’est pas l’agence de voyage qui annule le voyage mais le consommateur lui-même. En effet, dans le contexte actuel le consommateur peut changer d’avis avant le départ (par crainte de se rendre dans une zone atteinte par le coronavirus (Covid-19), ou se trouver empêché de partir (lui-même ou un proche est atteint par la maladie).
Contrairement au nouveau droit européen (article 12 al. 2 de la Directive 2015/2302), qui permet au consommateur de résoudre le contrat avant le voyage (avec remboursement sans frais) en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci (l’apparition d’une maladie grave sur le lieu de destination étant expressément mentionnée dans le texte de la directive), le droit suisse est muet sur ce point.
En effet, comme indiqué ci-dessus, les droits du voyageur à la résolution du contrat ne valent que si l’annulation est due par le voyagiste pour un motif non imputable au consommateur (article 11 al. 1 LVF).
Ainsi, les modalités par lesquelles le voyageur peut annuler sa réservation sont en général réglées par les conditions générales des voyagistes, qui prévoient des indemnités pouvant aller jusqu’au prix total du voyage (voir ci-dessous). A défaut de conditions générales, la situation juridique dépend des motifs du retrait.
Si le consommateur capricieux souhaite se départir du contrat sans autre motif que sa fantaisie, il doit indemniser pleinement le voyagiste conformément à l’article 377 CO applicable par analogie (sans rentrer dans les détails, la doctrine majoritaire estime que le contrat de voyage à forfait s’apparente sur certains points au contrat d’entreprise générale). Cette indemnité correspond à l’intérêt positif du voyagiste à l’exécution du contrat, et comprend donc son gain manqué.
Dans le cadre du coronavirus (Covid-19), nous estimons en revanche qu’une application de l’article 378 CO en matière de cas fortuit s’impose. Pour rappel, un cas fortuit est toute circonstance naturelle ou humaine entrainant une impossibilité d’exécution du contrat pour une cause autre que celles qui peuvent être imputées au dol, à la négligence ou simplement à la sphère de risque de l’une des parties. Un cas de force majeure, comme le coronavirus (Covid-19) répond tout-à-fait à la définition du cas fortuit.
Ainsi, à notre avis, en cas d’annulation du voyage par le consommateur en raison des risques liés au coronavirus (Covid-19) ou de maladie (de lui-même ou d’un proche), le voyagiste a droit au prix du travail fait et au remboursement des dépenses non comprises dans ce prix. La loi offre cependant au voyageur la solution de rechange d’une « cession de la réservation », prévue par l’art. 17 LVF. Encore faut-il que le voyageur de remplacement proposé remplisse les conditions requises pour la participation au voyage, et que le voyagiste soit informé de la cession dans un délai raisonnable avant le départ.
En cas de résiliation par le voyageur en cours de voyage pour un fait qui lui est imputable, la loi suisse est également muette. Nous estimons qu’une application analogique des article 377 CO (indemnisation totale du voyagiste en cas d’annulation sans motif) et 378 CO (indemnisation du voyagiste pour ses frais et dépenses en cas d’empêchement non fautif du voyageur) s’impose également.
Au vu de l’incertitude juridique, la quasi-totalité des voyagistes intègrent dans leurs conditions générales des conditions d’annulation. Ainsi par exemple, les conditions générales de DER Touristik Suisse SA, qui gère entre autres les marques Kuoni et Helvetic Tours prévoient que (article 4) :
« Le client peut annuler le voyage à tout moment avant le début du voyage. La déclaration de résiliation doit impérativement revêtir la forme écrite. La résiliation prend effet dès qu’elle a été confirmée par écrit par DTCH. La date déterminante pour fixer les frais d’annulation consécutifs est la date de notification de la déclaration de résiliation par DTCH. Le client doit verser à DTCH – en fonction de la date de la résiliation – des frais d’annulation forfaitaires et des frais de dossier (paragraphe 4.3). […] Si le DFAE et/ou l’OFSP déconseillent expressément un voyage dans la région de la destination prévue, le client ne doit payer que les frais de traitement (paragraphe 4.3), les éventuelles primes d’assurance et les frais de visa ainsi que les dépenses prises en charge, preuves à l’appui, par DTCH. […] Si le client résilie le contrat partiellement ou intégralement pendant le voyage, il ne peut prétendre à aucun remboursement du prix du voyage. »
Les conditions générales de MTCH SA (qui gère les marques Globus Voyages et Hotelplan notamment) stipulent que :
« MTCH adhère aux conseils aux voyageurs émis par le DFAE et/ou par l’OFSP. Si ces organismes fédéraux déconseillent de se rendre dans un pays que vous avez réservé ou dans une région touchée par votre voyage, vous pouvez modifier gratuitement votre réservation durant une certaine période. Dans ces cas, des frais de dossier conformément au point 4.2, des primes d’assurance et des frais de visa peuvent vous être facturés. Si le DFAE ou l’OFSP ne déconseillent pas explicitement un voyage dans un pays que vous avez réservé ou dans une région touchée par votre voyage, les conditions énumérées au point 4.3 ci-après s’appliquent alors. »
Il ressort de ce qui précède que certains voyagistes remboursent en tout ou partie les annulations antérieures au départ, pour autant que le DFAE ou l’OFSP ait émis des recommandations à ce sujet. D’autres permettent de modifier la réservation.
A l’heure actuel, en raison du coronavirus (Covid-19), l’OFSP déconseille tous les voyages à l’étranger si bien que quand même le voyage serait encore techniquement possible (vols maintenus, hôtels ouverts, etc.), le consommateur peut en principe annuler son voyage et obtenir le remboursement des sommes payées ou modifier celui-ci. De notre point de vue, cela devrait être également le cas pour les voyages en Suisse. Si pour une raison ou pour l’autre, un remboursement ou une modification n’est pas possible, le voyageur devra se tourner vers son assurance annulation de voyage (voir ci-dessous).
Transport aérien et coronavirus (Covid-19)
Pour rappel, la présente section ne s’applique que si l’on peut exclure un voyage à forfait. On parle ici de vols secs.
Droit applicable
Le contrat de transport aérien ne fait pas l’objet d’un traitement spécifique dans le Code des obligations suisse ni même d’un consensus de la doctrine au niveau de sa nature. Il est tantôt qualifié de contrat d’entreprise ou de mandat et tantôt de contrat innomé présentant des caractéristiques de ces deux types de contrats. En revanche, il fait l’objet d’une règlementation spécifique au sein de l’Union européenne et entraîne des répercussions sui generis en Suisse.
En effet, le Règlement (CE) 261/2004 traite des situations d’inexécution ou d’exécution imparfaite du contrat de transport aérien de personnes par la compagnie aérienne. Il s’applique en Suisse en vertu de l’Accord entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur le transport aérien du 21 juin 1999 (un transporteur aérien ayant son siège en Suisse et titulaire d’une licence d’exploitation valide, est assimilé à un transporteur communautaire). En revanche, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne n’est à ce jour pas applicable en Suisse.
Les problématiques liées à la livraison des bagages et aux dommages aux personnes et au fret notamment en cas d’accident sont traitées au niveau international par la Convention de Montréal de 1999 et le système de la Convention de Varsovie (la Suisse étant partie aux deux textes) et au niveau national par l’Ordonnance sur le transport aérien. Ces textes couvrent toutefois également les retards subis par les passagers mais uniquement en cas de dommage. Il incombe ainsi au passager de fournir la preuve de la survenance d’un tel dommage pour être indemnisé (voir par exemple l’article 19 de la Convention de Montréal). Dans le cadre du Règlement (CE) 261/2004, la simple survenance d’un retard de vol, indépendamment de tout dommage, contraint le transporteur à assister et à prendre en charge les passagers.
Autre différence au niveau des conventions, celles-ci ne protègent que les transports internationaux, c’est-à-dire les transports dont les points de départ et d’arrivée sont contractuellement fixés entre deux États parties, ou si l’appareil effectue un transport interne avec un arrêt dans un autre État, partie ou non (article 1 al. 2 Convention de Montréal). Le Règlement (CE) 261/2004 s’applique aux passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire de l’Union européenne, de la Suisse ou d’un pays membre de la Espace Économique Européen (États membres). En outre, il s’applique aux passagers dont le vol est assuré par un transporteur communautaire, lorsque ce vol décolle d’un aéroport d’un pays tiers à destination un aéroport situé dans un État membre, à condition qu’un système de prestation ou d’indemnisation et d’assistance n’existe pas dans le pays d’origine. Ainsi, un vol opéré par Air China, en provenance de Pékin et se posant à Genève ne tombe en principe pas sous le coup du Règlement (CE) 261/2004. Idem si Swiss effectue par exemple un vol Istanbul-Dubai.
Cette situation peut poser des problèmes notamment en cas de code-sharing (vols achetés auprès d’une compagnie aérienne mais en réalité opérés par une autre). En effet, le Règlement (CE) 26/2004 prévoit que c’est la compagnie aérienne qui a effectivement opéré le vol qui est la débitrice des obligations prévues par celui-ci (article 3 al. 5). Ainsi, c’est à son attention que les éventuelles demandes d’indemnisation devront être adressées. Dès lors, un vol New-York=> Genève acheté auprès d’American Airlines mais opéré par Swiss tombera sous le coup du Règlement (CE) 26/2004. Tel n’est pas le cas si le vol est acheté auprès de Swiss mais est en réalité opéré par American Airlines.
En conclusion, les passagers ont tout intérêt à privilégier les vols effectivement opérés par des compagnies aériennes européennes lors de l’achat des billets, pour être certains d’être couverts par le Règlement (CE) 261/2004 en cas de retard ou d’annulation.
A noter que les hélicoptères sont exclus du champ d’application du Règlement (CE) 26/2004 (article 3 al. 4).
Par ailleurs, contrairement au Règlement (CE) 261/2004, les conventions ne prévoient aucune mesure d’assistance en faveur du passager durant l’attente de son vol.
Il est important de souligner que les dispositions du Règlement (CE) 261/2004 sont de nature impérative. En d’autres termes, les transporteurs aériens ne peuvent pas modifier les dispositions de celui-ci par le biais des conditions générales.
Enfin, on relèvera que la Commission Européenne a récemment publié des lignes directrices interprétatives sur la réglementation de l’Union européenne concernant les droits des passagers dans le contexte de la situation en rapport avec le coronavirus (Covid-19). Elles seront reprises ci-après en tant que besoin.
Droits des passagers en lien avec le coronavirus (Covid-19)
Actuellement avec le coronavirus (Covid-19), la situation la plus fréquente susceptible de se produire est celle d’une annulation pure et simple du vol par la compagnie aérienne en raison par exemple de la fermeture des frontières ou des aéroports ou encore d’un nombre insuffisant de passagers. Ces cas pouvant se présenter au départ ou au retour.
Une autre situation à envisager est celle où le passager lui-même renonce à prendre le vol, parce qu’il est malade du coronavirus (Covid-19) ou par crainte d’être touché par la pandémie dans le pays de destination ou lors du voyage.
D’emblée, on précisera que le Règlement (CE) 261/2004 ne traite que de la première hypothèse, soit l’annulation du vol par la compagnie aérienne. En cas d’annulation par le passager, la question du remboursement dépend du type de billet acheté (remboursable, modifiable), tel que spécifié dans les conditions générales du transporteur. En principe, les billets ne sont pas remboursés (hormis les taxes d’aéroport). Toutefois, vu le caractère exceptionnel de la situation actuelle du coronavirus (Covid-19), certaines compagnies aériennes font un geste et proposent de modifier la réservation ou de rembourser le billet sans frais. Ainsi par exemple, Swiss prévoit que « les clients en possession de billets pour des vols Swiss annulés ou non peuvent les conserver sans avoir à s’engager immédiatement sur une nouvelle date de voyage. Les réservations existantes seront annulées mais le billet et sa valeur resteront inchangés et pourront être utilisés pour un autre voyage, dans la mesure où le départ a lieu d’ici au 31 décembre 2020 inclus. Les clients ont en outre la possibilité d’opter pour une autre destination. »
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S’agissant du deuxième cas de figure (annulation par la compagnie aérienne), selon le Règlement (CE) 261/2004, il y a annulation lorsque qu’un vol qui était prévu initialement et sur lequel au moins une place était réservée n’a pas été effectué. Dans cette hypothèse, l’article 5 prévoit une obligation pour le transporteur d’assistance, de prise en charge et d’indemnisation forfaitaire.
Pour ce qui a trait à l’obligation d’assistance (article 8), qui vise à garantir au passager la continuation de son voyage ou, dans certains cas, de lui offrir la possibilité d’y renoncer, le passager a droit au choix 1) au remboursement du billet dans un délai de 7 jours au prix auquel il a été acheté, pour la ou les parties du voyage non effectuées et pour la ou les parties du voyage déjà effectuées et devenues inutiles par rapport au plan de voyage initial, ainsi que, le cas échéant, — un vol retour vers son point de départ initial dans les meilleurs délais ; 2) un réacheminement vers sa destination finale, dans des conditions de transport comparables et dans les meilleurs délais, ou ; 3) un réacheminement vers sa destination finale dans des conditions de transport comparables à une date ultérieure, à sa convenance, sous réserve de la disponibilité de sièges.
On relèvera que lorsque le passager a réservé le vol aller et le vol retour séparément et que le vol aller est annulé, le passager a uniquement droit au remboursement du vol annulé, c’est-à-dire le vol aller. Toutefois, si le vol aller et le vol retour font partie de la même réservation, même s’ils sont assurés par des transporteurs aériens différents, les passagers devraient se voir proposer deux options si le vol aller est annulé : le remboursement de l’intégralité du billet (c’est-à-dire pour les deux vols) ou un réacheminement sur un autre vol pour le vol aller.
Concernant l’obligation de prise en charge (article 9), qui vise à subvenir aux besoins essentiels du passager durant l’attente de son vol, il se voit offrir gratuitement (obligation inconditionnelle et absolue du transporteur même en cas de circonstances extraordinaires et en l’absence de faute comme c’est le cas avec l’actuel coronavirus (Covid-19) ;
a) des rafraîchissements et des possibilités de se restaurer en suffisance compte tenu du délai d’attente ;
b) un hébergement à l’hôtel (réglé directement par le transporteur) aux cas où : — un séjour d’attente d’une ou plusieurs nuits est nécessaire, ou — lorsqu’un séjour s’ajoutant à celui prévu par le passager est nécessaire ;
c) le transport depuis l’aéroport jusqu’au lieu d’hébergement (hôtel ou autre) ;
d) la possibilité d’effectuer gratuitement deux appels téléphoniques ou d’envoyer gratuitement deux télex, deux télécopies ou deux messages électroniques.
L’adéquation de la prise en charge devra être appréciée au cas par cas, en tenant compte des besoins des passagers dans les circonstances données et du principe de proportionnalité (c’est-à-dire en fonction du temps d’attente). Le prix payé pour le billet ou la durée des désagréments subis ne devraient pas influer sur le droit à une prise en charge. Il en va de même si la prise en charge porte sur une longue période.
Il faut souligner que lorsque le passager opte pour le remboursement intégral du billet, le droit à la prise en charge prend fin. Il en va de même lorsque le passager opte pour un réacheminement à une date ultérieure, à la convenance du passager.
Enfin, en ce qui concerne le droit au versement d’une indemnité, l’étendue de celle-ci est calculée entre autres sur la base de la distance séparant le passager de sa destination finale, calculée à « vol d’oiseau » (route orthodromique) sans tenir compte des correspondances. Ainsi, elle s’élève à EUR 250 pour tous les vols de 1 500 kilomètres ou moins ; EUR 400 pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 kilomètres ; EUR 600 pour tous les autres vols.
A noter que celle-ci n’est pas due si le passager a été informé de la suppression du vol 1) au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue, ou 2) de deux semaines à sept jours avant l’heure de départ prévue si on lui offre un réacheminement lui permettant de partir au plus tôt deux heures avant l’heure de départ prévue et d’atteindre sa destination finale moins de quatre heures après l’heure d’arrivée prévue, ou 3) moins de sept jours avant l’heure de départ prévue si on lui offre un réacheminement lui permettant de partir au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue et d’atteindre sa destination finale moins de deux heures après l’heure prévue d’arrivée (article 5 al. 1 let. c). La preuve de l’annulation et des délais incombe au transporteur (article 5 al. 4).
Par ailleurs, un transporteur aérien n’est pas tenu de verser une indemnisation s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises (article 5 al. 3). Attention, ce point ne concerne pas les autres obligations du transporteur aérien comme le remboursement des billets ou la prise en charge.
On entend par circonstances extraordinaires, les événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à sa maîtrise effective (le Règlement (CE) 261/2004 cite par exemple l’instabilité politique, les conditions météorologiques incompatibles avec la réalisation du vol concerné, les risques liés à la sécurité, les défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol, ainsi les grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif). Cela avait été le cas lors de l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll en 2010.
Face à l’incertitude de la notion de « circonstances exceptionnelles », les organismes nationaux ont rédigé conjointement un document non-exhaustif et non-contraignant, censé orienter les passagers, les compagnies aériennes et les tribunaux sur ce qui devrait ou non être considéré comme des circonstances extraordinaires, la « Preliminary List of Extraordinary Circumstances ». Malheureusement, ce document ne contient aucune référence par rapport au risque d’épidémie ou de pandémie.
En revanche, la Commission européenne considère dans ses lignes directrices interprétatives en rapport avec le coronavirus (Covid-19) que lorsque les pouvoirs publics prennent des mesures destinées à contenir la pandémie, ces mesures, de par leur nature et leur origine, ne sont pas inhérentes à l’exercice normal de l’activité des transporteurs et échappent à leur maîtrise effective. Ainsi, lorsque les pouvoirs publics interdisent purement et simplement certains vols, ou interdisent la circulation de personnes d’une manière qui, de fait, exclut que le vol ait lieu, l’indemnisation ne devrait pas être due. Il en va de même si la circulation des personnes n’est pas totalement interdite, mais limitée aux personnes bénéficiant de dérogations (par exemple aux ressortissants ou aux résidents de l’État concerné. Enfin, aucune indemnité ne devrait être payée si l’annulation est due pour des raisons de protection de la santé de l’équipage (risque d’être atteint par le coronavirus (Covid-19)) ou à cause du manque de passagers liés à l’épidémie de coronavirus (Covid-19).
Le transporteur aérien effectif doit présenter à chaque passager concerné une notice écrite reprenant les règles d’indemnisation et d’assistance conformément aux dispositions du Règlement (CE) 261/2004 ainsi que les coordonnées de l’organisme national compétent (en Suisse l’Office fédéral de l’aviation civile qui traite des plaintes (délai de 2 ans) et veille à l’application du Règlement (CE) 261/2004)).
L’indemnité, tout comme le remboursement du billet, doit être versée en espèces, par virement bancaire ou par chèque ou, avec l’accord signé du passager, sous forme de bons de voyage et/ou d’autres services comme des miles par exemple (article 7 al. 3).
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Au niveau enfin des fors (compétence des tribunaux), il conviendra d’appliquer selon les circonstances (domicile/résidence du voyageur et siège du transporteur aérien) le Règlement de Bruxelles I et Ibis, la Convention de Lugano ou la Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) (cette dernière loi serait applicable par exemple dans l’hypothèse d’un vol effectué par un transporteur non-communautaire à destination de la Suisse). On précisera ici uniquement que le lieu de réalisation de l’obligation correspond à la fois au lieu de départ et au lieu d’arrivée contractuels du vol laissant ainsi le choix au demandeur. Par ailleurs, contrairement aux voyages à forfait, les vols dits secs ne sont pas considérés comme des contrats conclus avec des consommateurs, si bien que le for spécial de ceux-ci ne s’applique pas, sauf si la LDIP est applicable (en vertu d’une définition dans la loi légèrement différente du contrat conclu avec des consommateurs par rapport aux autres textes mentionnés ci-dessus). Les tribunaux compétents en Suisse seront généralement Genève, Zurich, Bâle (attention toutefois au fait que l’aéroport de Bâle-Mulhouse est entièrement situé sur le territoire français et partant que les tribunaux français seront compétents sous réserve d’une éventuelle application de la LDIP avec un consommateur domicilié en Suisse !) et Lugano.
Croisières/transport de passagers et coronavirus (Covid-19)
S’il y a un secteur particulièrement touché par le coronavirus (Covid-19), c’est bien celui des croisières. Quasiment tous les croisiéristes ont annulé leurs voyages jusqu’à mi-avril au moins. Par ailleurs, vu la promiscuité des passagers inhérente à ce type de vacances, un nombre assez significatif de personnes ont été contaminées par le coronavirus (Covid-19) lors de leur séjour sur les paquebots. Dès lors, il se pose deux questions : quelles sont les conséquences sur les passagers d’une annulation par le transporteur (croisiériste, exploitant de lignes régulières, etc.) et quelle est l’éventuelle responsabilité de ce dernier en cas d’épidémie à bord. Nous tenterons de répondre ci-dessous à ces deux points après un bref examen du droit applicable en Suisse. A noter à cet égard que Genève abrite le siège de MSC Croisières.
Droit applicable
Les articles 440 et suivants du Code des obligations suisse sur le contrat de transport ne s’appliquent pas au transport de personnes, ces articles ne concernant que les marchandises. Il convient donc de se référer aux règles sur le contrat de mandat (articles 394 et suivants CO), sous réserve des sources de droit concurrentes.
D’emblée, il est important de souligner qu’une application stricte des règles sur le mandat serait erronée. En effet, il ne faut pas oublier la nature particulière du contrat de transport qui implique une certaine obligation de résultat (transport des passagers dans le délai contractuel). Cette obligation de résultat apparente le contrat de transport au contrat d’entreprise, auquel il est d’ailleurs rattaché en droit allemand et français. Il convient donc d’appliquer les règles sur le mandat avec une certaine précaution, notamment en ce qui concerne la responsabilité du transporteur.
Aussi, force est d’admettre que par rapport à ses voisins européens (notamment la France avec par exemple son Code du tourisme), le droit suisse est une fois encore à la traîne en matière de protection du consommateur. Un lifting serait de mise et peut-être que la crise du coronavirus (Covid-19) serait l’occasion de lancer un vaste chantier dans ce domaine.
Au niveau des normes spéciales, la Loi fédérale sur le transport de voyageurs (LTV) régit de manière générale le transport régulier de personnes par route et par rail en Suisse, ainsi que le transport de passagers par bateau dans les eaux suisses. Les installations à câbles (télésièges et cabines sur les domaines skiables) sont également concernées. Cette thématique, qui concerne les transports publics concessionnés ou titulaire d’une autorisation, ne sera pas abordée ici.
En matière de responsabilité, le transport de passagers par mer est lui soumis aux articles 118 et suivants de la Loi fédérale sur la navigation maritime sous pavillon suisse qui renvoient à la Convention d’Athènes du 13 décembre 1974 relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages, ainsi qu’aux protocoles afférents de 1976 et de 1990. On mentionnera également la Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de transport de passagers par mer du 29 avril 1961 (Convention de Bruxelles) à laquelle la Suisse est partie. La Convention d’Athènes sera en particulier applicable sous l’angle du droit suisse si le contrat de transport a été conclu en Suisse ou si le navire bas le pavillon suisse.
Au niveau européen on citera encore le Règlement (CE) 392/2009 renvoyant à la Convention d’Athènes et à son tout dernier Protocole de 2002 ainsi qu’aux lignes directrices de l’Organisation maritime mondiale. Ce règlement s’applique à tout transport effectué sur un navire battant le pavillon d’un état membre de l’Union européenne (ou immatriculé dans celui-ci), aux contrats de transport conclus dans un État membre ou aux transports où le lieu de départ ou de destination se trouve dans un État membre.
A noter encore que toujours sur le plan européen, le Règlement (UE) n° 1177/2010 peut trouver à s’appliquer. S’agissant des croisières, il ne s’applique que lorsque le port d’embarquement se situe sur le territoire de l’Union européenne (article 2 al. 1 let. c). D’après le Règlement (UE) n° 1177/2010, une croisière est un service de transport par mer ou par voie de navigation intérieure exploité exclusivement à des fins de plaisance ou de loisirs, complété par un hébergement et d’autres prestations, consistant en plus de deux nuitées à bord.
Il convient donc de relever que les croisières débutant hors de l’Union européenne sur des navires européens ou non européens ne sont pas concernées par le Règlement (UE) n° 1177/2010.
Pour les transports de passagers par mer ou par voie de navigation intérieure assuré selon un horaire publié (on parle de service de passager par opposition à la croisière), le Règlement (UE) n° 1177/2010 s’applique lorsque le port d’embarquement se situe sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne et, si tel n’est pas le cas, aux services de transport lorsque le port de débarquement se situe sur le territoire de l’Union, pour autant que le service soit assuré par un transporteur communautaire (article 2 al. 1 let. a et b). On retrouve ici le même régime d’application territoriale que celui décrit dans le Règlement (CE) n° 261/2004 sur le transport aérien.
Sont exclus du Règlement (CE) n° 261/2004 les passagers voyageant sur des navires autorisés à transporter jusqu’à douze passagers, des navires dont l’équipage chargé de l’exploitation du navire ne comprend pas plus de trois personnes, lorsque la longueur totale du service de transport de passagers est inférieure à 500 mètres par aller simple, dans le cadre d’excursions ou de visites touristiques autres que des croisières, sur des navires qui ne sont pas propulsés par des moyens mécaniques ainsi que sur des navires à passagers historiques originaux ou des copies individuelles de ces navires conçus avant 1965 et construits essentiellement en matériaux d’origine, autorisés à transporter jusqu’à trente-six passagers.
Enfin, on relèvera que des dispositions divergentes ou restrictives par rapport aux droits des passagers fixés dans le Règlement (CE) 261/2004 ne sont pas permises dans le contrat de voyage.
Il ressort de ce qui précède que la multiplicité des textes rend la matière particulièrement complexe et peut entraîner des confusions dans l’esprit du consommateur s’agissant du droit applicable à son cas.
Responsabilité du transporteur en cas d’atteinte au coronavirus (Covid-19)
Le voyageur peut-il reprocher à la compagnie de croisière une contamination au coronavirus (Covid-19) au cours de son séjour ?
Comme relevé ci-dessus, il convient dans un premier temps de déterminer le droit applicable à la situation d’espèce. Nous nous limiterons ici au régime prévu par la Convention d’Athènes.
D’après l’article 3 de ladite convention, il faut opérer une distinction entre l’accident individuel et le sinistre majeur (par exemple un naufrage, un abordage, une explosion, un incendie, un défaut du navire, etc. comme ce fut le cas dans le cadre du Costa Concordia en 2012). Or, dans le cadre du coronavirus (Covid-19), la distinction ne parait pas si évidente. En effet, faut-il inclure dans la catégorie de « sinistre majeur », à côté des cas précis visés par le texte de la convention, tout incident grave, dépassant le cadre d’un accident individuel ? Le sinistre majeur affecte à notre sens la sécurité du navire dans son entier, ou, à tout le moins est susceptible d’avoir un tel effet. En d’autres termes, le sinistre intéresse tout le navire et menace tous les intérêts engagés, navire, hommes et marchandises. Dès lors, nous estimons que la pandémie de coronavirus (Covid-19) ne devrait pas être considérée comme un sinistre majeur, celle-ci ne touchant que les hommes (même si un nombre important de passagers est affecté). Il sera toutefois très intéressant de voir comment les tribunaux trancheront cette question.
Les conséquences de la classification sont importantes puisqu’en cas d’accident individuel, il appartient au voyageur de prouver que le fait générateur du préjudice subi a eu lieu au cours du transport et qu’il est imputable à la faute ou à la négligence du transporteur ou de ses préposés ou mandataires agissant dans l’exercice de leurs fonctions. En cas de sinistre majeur, la faute du transporteur est en revanche présumée.
Si l’on s’en tient à la première hypothèse que nous privilégions, il appartiendra à la victime d’apporter la preuve que la contamination au coronavirus (Covid-19) résulte d’un manquement du croisiériste à ses obligations contractuelles. Or, il lui sera sans doute difficile de rapporter une telle preuve, la source de la contamination étant dans la plupart des cas inconnue. Aussi, il conviendra de résoudre la question de savoir si le transporteur était soumis à une seule obligation de moyens ou de résultat, sachant qu’en matière de droit maritime, à la différence du droit aérien (s’expliquant que par le fait que les passagers d’un navire ont une grande liberté mouvement), les tribunaux ont tendance à mettre à la charge du transporteur une simple obligation de moyens lorsqu’il s’agit de prévenir les accidents individuels.
De même, la compagnie de croisière pourra sans doute invoquer des circonstances exceptionnelles et inévitables, à moins qu’elle n’ait pas suivi les mesures de précautions imposées notamment par les autorités.
Aussi, le transporteur pourra essayer établir que la mort ou les lésions corporelles du passager sont dues, directement ou indirectement, à la faute ou à la négligence du passager lui-même (article 6).
Enfin, le voyagiste tentera sans doute également d’invoquer le fait d’un tiers étranger à la fourniture des services de voyage compris dans le contrat, arguant que le comportement des autres passagers est à l’origine de la contamination au coronavirus (Covid-19).
A noter que le Protocole de 2002, non applicable à la Suisse mais sur lequel se fonde le Règlement (CE) 392/2009, propose un schéma de responsabilité légèrement différent puisqu’il opère une distinction entre dommage résultant d’un incident non maritime et d’un incident maritime (naufrage, défaut du navire, etc.), dépassant ou non 250 000 droits de tirage spéciaux.
En tout état de cause, la Convention d’Athènes fixe une limite au montant d’indemnisation (par exemple à 46’666 droits de tirage spéciaux en cas d’accident individuel, soit environ EUR 60’000). D’autres montants s’appliquent au Protocole de 2002.
Enfin, s’agissant du for (compétence des tribunaux), la Convention d’Athènes a mis en place, à son article 17, un système impératif de choix de la juridiction compétente. Ainsi, le passager peut former son action devant le tribunal du principal établissement du défendeur, du lieu de départ ou du lieu de destination stipulé dans le contrat de transport, de l’État du domicile ou de la résidence habituelle du demandeur (si le défendeur a un siège de son activité dans cet État et est soumis à la juridiction de celui-ci) ou encore de l’État du lieu de conclusion du contrat si le défendeur y a un siège de son activité et est soumis à la juridiction de cet État.
L’annulation du voyage
En matière d’annulation ou de retards par le transporteur, le Règlement (UE) n° 1177/2010, prévoit des dispositions similaires à la réglementation aérienne. A noter toutefois que s’agissant des croisières, certains droits sont limités. En effet, dans ces cas, les passagers d’une croisière n’ont pas droit au réacheminement, ni au remboursement en cas de départs annulés ou retardés, ni à une indemnisation sur la base du prix du billet en cas de retard à l’arrivée. Il convient donc de se référer à la législation nationale en la matière comme par exemple le Code du tourisme en France ainsi qu’aux conditions générales des transporteurs. Ainsi, on constatera que contrairement au transport aérien et ferroviaire, le droit européen n’est pas totalement harmonisé. Le projet de règlement avait en effet été modifié à l’époque avant l’adoption du texte final du Règlement (UE) n° 1177/2010. Toutefois, dans la très grande majorité des cas, le voyage sera soumis aux règles sur les voyages à forfait (en effet, les croisiéristes proposent généralement la croisière avec le billet d’avion et/ou les excursions) si bien que pratiquement, le consommateur est protégé par ces dispositions spéciales auxquelles nous renvoyons. En ce qui concerne le droit suisse, les règles sur le mandat seront applicables (voir notamment la section suivante).
D’après le Règlement (UE) n° 1177/2010, en cas d’annulation ou de départ retardé, les passagers ont le droit d’être informés de ce retard ou de cette annulation par le transporteur ou l’exploitant du terminal au plus tard 30 minutes après l’heure prévue du départ, ainsi que de l’heure estimée de départ et de l’heure estimée d’arrivée, dès que ces informations sont disponibles.
En cas de retard de plus de 90 minutes ou d’annulation d’un service de passagers ou d’une croisière, et lorsque cela est raisonnablement possible, les passages se voient offrir gratuitement des collations, des repas ou des rafraîchissements en suffisance compte tenu du délai d’attente.
Lorsque le retard ou l’annulation d’un départ nécessite un séjour d’une nuit ou plus pour le passager, celui-ci se voit offrir, par le transporteur, un hébergement satisfaisant et gratuit à bord ou à terre, ainsi que le transport dans les deux sens entre le terminal portuaire et le lieu d’hébergement. Lorsqu’un transporteur fait la preuve que l’annulation ou le retard est dû à des conditions météorologiques compromettant l’exploitation du navire en toute sécurité, il est libéré de l’obligation d’offrir un hébergement gratuit. Pour chaque passager, le transporteur peut limiter à un montant de EUR 80 par nuit, pour un maximum de trois nuits, le coût total de l’hébergement à terre, non compris le transport dans les deux sens entre le terminal portuaire et le lieu d’hébergement.
Le passager n’a pas droit à l’assistance du transporteur s’il a été informé de l’annulation ou du retard avant l’achat du billet ou si l’annulation ou le retard est dû à la faute du passager.
En cas de retard de plus de 90 minutes par rapport à l‘heure de départ prévue ou d’annulation d’un service de passagers, les passagers ont le droit de choisir entre
• un réacheminement vers la destination finale telle qu’établie dans le contrat de transport, sans aucun supplément, dans des conditions comparables et dans les meilleurs délais et
• le remboursement du prix du billet et, s’il y a lieu, un service de transport de retour gratuit dans les meilleurs délais jusqu’au point de départ initial tel qu’établi dans le contrat de transport.
Le Règlement n° 1177/2010 dispose enfin que le transporteur est exempté de verser une indemnisation (si l’article 19 ne fait référence qu’aux cas de retard, l’article 20 al. 4 traite bien des cas de retards et d’annulations) si des circonstances extraordinaires empêchant l’exécution du service de transport de passagers, qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.
La jurisprudence est rare en ce domaine mais parmi la liste (non-exhaustive) des circonstances extraordinaires figurant aux termes du considérant (17) du Règlement n° 1177/2010, on peut retenir le cas des « décisions prises par les organismes de gestion du trafic ou par les autorités portuaires ou encore les décisions arrêtées par les autorités compétentes en matière d’ordre public » qui pourraient englober les interdictions / restrictions d’accès portuaires et de débarquement prises par les différents États en lien avec le coronavirus (Covid-19).
Aussi, on soulignera que les lignes directrices interprétatives de la Commission européenne sur la réglementation de l’Union européenne concernant les droits des passagers dans le contexte de la situation en rapport avec le coronavirus (Covid-19) prévoient les mêmes règles qu’en matière de transport aérien. Ainsi, il y a circonstances extraordinaires lorsque les pouvoirs publics interdisent totalement certains services de transport ou interdisent la circulation des personnes d’une manière générale qui exclut, de fait, l’exécution du service en question, lorsque l’annulation se produit dans des circonstances où la circulation correspondante des personnes n’est pas totalement interdite, mais limitée aux personnes bénéficiant de dérogations (par exemple, les ressortissants ou les résidents de l’État concerné), lorsque le transporteur décide d’annuler un service de transport et prouve que cette décision était justifiée par des motifs de protection de la santé de l’équipage (risque d’être atteint par le coronavirus (Covid-19)) ou encore lorsque le navire ou le bâtiment demeurerait vide en raison des mesures prises par les autorités si le service n’est pas annulé.
Au niveau des fors internationaux, on appliquera comme en matière de transport aérien, le Règlement de Bruxelles I et Ibis, la Convention de Lugano ou la Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) en fonction du domicile/de la résidence du voyageur et du siège de la compagnie de croisières, étant précisé que le for du consommateur ne sera possible que dans le cadre de la LDIP.
Annulation d’autres prestations touristiques (guides, excursions, manifestations, etc.)
Droit applicable
Il est impossible de traiter ici toutes les relations contractuelles qui peuvent se nouer entre professionnels et consommateurs dans le secteur du tourisme, tant les prestations peuvent être diverses et variées. Il est également difficile d’appréhender toutes les situations qui peuvent se présenter dans le cadre du coronavirus (Covid-19).
Il convient toutefois toujours dans un premier temps de qualifier juridiquement le contrat, ce qui n’est pas forcément chose aisée, même si dans la plupart des situations, la prestation touristique concernée relèvera en Suisse du contrat de mandat (articles 394 et suivants CO).
Le mandat est le contrat par lequel le mandataire s’oblige à rendre des services dans l’intérêt du mandant conformément à la volonté de celui-ci et pour autant que les conditions d’un autre contrat ne soient pas réalisées. En général, le mandat est conclu à titre onéreux.
Le mandat est caractérisé par le fait que le service est rendu en vue d’un certain résultat. Toutefois, à la différence du contrat d’entreprise, le mandataire ne promet pas ce résultat. Ainsi, le mandataire s’engage à fournir une activité diligente en vue d’obtenir le résultat escompté par le mandant, mais le résultat reste extérieur au mandat. Ainsi, en est-il par exemple du guide de montagne qui amène son client gravir une montagne, le premier assumant une obligation de moyens mais non de résultat. La rémunération du guide reste due même si le sommet n’est au final pas atteint (par exemple en raison des conditions météorologiques défavorables, de la fatigue ou du niveau technique du client).
A la différence du contrat de travail, il n’y a pas de rapport de subordination de la part du mandant envers le mandataire. Ce dernier n’est pas tenu de se soumettre aux instructions et aux directives contraignantes du client. Le mandataire doit certes suivre les instructions du mandant, mais il agit indépendamment et sous sa seule responsabilité.
Tomberont ainsi dans cette catégorie de contrats, comme nous l’avons vu, le contrat d’engagement d’un guide de montagne, les cours de ski, de sport, de danse, etc., les prestations des guides touristiques, les excursions en tout genre (rafting, randonnées, etc.) ou encore le transport de personnes par la route à titre professionnel ou particulier.
A la différence de ce qui précède, dans le cadre d’un contrat d’entreprise, l’entrepreneur garantit en plus un résultat, l’ouvrage. La distinction avec le mandat peut en pratique s’avérer délicate surtout en présence d’un ouvrage immatériel (il est admis par la jurisprudence, mais critiqué par la doctrine, que le contrat d’entreprise puisse aussi porter sur un ouvrage immatériel dont le résultat ne se concrétise pas nécessairement sur un support matériel). Sera en particulier considéré comme un contrat d’entreprise la prise de photos ou la réalisation d’un film. Idem, pour le contrat de restauration (fourniture de nourriture préparée par le restaurateur, la simple fourniture de boissons doit en principe être assimilée à une vente).
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A côté de ces contrats dits « nommés », on trouve toute une catégorie de contrats « innommés », soit ceux qui ne sont pas proposés par le législateur, mais qui sont engendrés par la seule liberté créatrice des parties, forgés par la pratique des transactions et les besoins du commerce. Le législateur ne les a pas régis soit parce qu’il ne les connaissait pas, soit parce qu’il n’a pas jugé opportun de leur faire une place dans la loi. Doctrine et jurisprudence divisent ces contrats entre contrats sui generis (sans aucun modèle législatif) et contrats mixtes (mélange de plusieurs contrats nommés).
Les contrats innommés doivent être interprétés selon la volonté hypothétique des parties. En outre, les dispositions impératives du Code des obligations doivent être respectées, étant précisé que s’agissant de la partie spéciale de celui-ci, c’est le besoin de protection des parties qui sera déterminant pour savoir si une telle norme impérative devra s’appliquer à un contrat innommé concret.
Enfin, lorsque l’interprétation du contrat innommé conduit à un résultat lacunaire (impossibilité de déterminer la volonté présumée des parties), il convient de le compléter en tenant compte de l’usage constant et de la pratique répétée si le contrat est dit typique, c’est-à-dire devenu standard entre partenaires habituels ou dans une branche professionnelle déterminée, par opposition aux contrats singuliers.
Ainsi, en est-il par exemple du contrat d’admission à un spectacle (contrat passé entre l’organisateur et les spectateurs d’une représentation), au théâtre, au cinéma, à un concert de musique ou à un match de hockey. Ces situations relèvent selon nous du contrat innommé. En effet, comme relevé ci-dessus, le contrat d’entreprise suppose la réalisation d’un ouvrage ce qui suppose une certaine matérialisation du résultat obtenu. Celui qui s’engage à présenter un spectacle (au sens large) promet un résultat mais on ne saurait parler de contrat d’entreprise à proprement dit. Il convient ainsi, en cas de lacune du contrat, de dégager des règles inspirées du contrat d’entreprise applicable par analogie uniquement.
Considérations générales
Une fois la nature du contrat déterminée, il convient d’appliquer les bonnes règles à la situation concrète du cas.
Quid en effet de la situation actuelle du coronavirus (Covid-19) où le mandataire se trouve dans l’incapacité d’exécuter son contrat en raison des décisions prises par les autorités ? On pensera notamment aux cas où le domaine skiable est fermé (impossibilité de donner des cours de ski), où les guides de montagne font l’objet d’une interdiction d’aller en montagne, où les manifestations et rassemblements sont interdits (concerts, événements sportifs, etc.), ou encore parce que les restaurants et les commerces sont fermés. De l’autre côté, le consommateur peut être atteint du coronavirus (Covid-19), il peut avoir peur d’être contaminé ou être dans l’incapacité de se déplacer à cause de la fermeture des frontières, de l’annulation des vols ou d’un confinement.
Nous examinerons successivement les règles générales et spéciales du Code des obligations suisse, puis les conditions générales incorporées à certains contrats, pour enfin terminer par quelques remarques sur la théorie dite de l’imprévision.
D’emblée on précisera que la plupart des cas tombent sous le coup de la partie générale du Code des obligations, voire des conditions générales.
En effet, les règles spéciales du CO sur le mandat par exemple sont silencieuses pour régler des questions ayant trait à une impossibilité d’exécuter une prestation. La partie spéciale prévoit uniquement que le contrat de mandat prend fin lorsque le mandataire a rendu tous les services qui lui étaient (expressément ou implicitement) demandés.
Le mandat peut également être révoqué en tout temps par chacune des parties (article 404 al. 1 CO), sous réserve de la résiliation en temps inopportun et la réparation du dommage subi.
Impossibilité objective non-fautive selon la partie générale du CO
On distingue tout d’abord l’impossibilité objective subséquente non fautive d’exécuter le contrat au sens de l’article 119 CO.
L’hypothèse visée ici est que, postérieurement à la conclusion du contrat, surviennent des circonstances non imputables au débiteur qui empêchent totalement ou partiellement l’exécution.
L’impossibilité doit tout d’abord être subséquente, c’est-à-dire provenir d’une cause postérieure à la conclusion du contrat. Elle se distingue de l’impossibilité initiale qui provient d’une cause existant à la conclusion du contrat (le contrat est dans cet hypothèse nul selon l’article 20 al. 1 CO).
L’impossibilité doit ensuite être objective, à savoir que la prestation du débiteur ne peut plus être exécutée ni par le débiteur, ni par un tiers se substituant à lui.
La cause de celle-ci peut être matérielle (circonstance de fait comme une catastrophe naturelle) ou juridique (par un acte de puissance publique, on interdit par exemple les rassemblements de plus de 5 personnes empêchant ainsi la tenue d’un concert).
Aussi, l’impossibilité ne doit pas être imputable au débiteur, c’est-à-dire être non fautive. Tel sera le cas lorsqu’elle provient d’un cas fortuit ou d’une force majeure comme c’est le cas actuellement avec le coronavirus (Covid-19).
Enfin, l’impossibilité doit être définitive (ou durable selon les auteurs) ; Une impossibilité passagère (par exemple une inondation empêchant une livraison) tombe sous le coup des règles sur la demeure (retard du débiteur) et non de l’impossibilité. Cette condition ne fait pas l’objet d’un consensus à l’heure actuelle parmi les spécialistes et la situation liée au coronavirus (Covid-19) vient encore compliquer les choses. Sans aucun doute le Tribunal fédéral aura le dernier mot sur ce point même si l’on ne peut pas espérer une réponse avant plusieurs années. Il s’agit pourtant d’un élément décisif dans la mesure où les conséquences de la demeure sont totalement différentes de celles sur l’impossibilité objective. De notre point de vue, il convient d’opérer une distinction entre les causes de l’impossibilité, qui peuvent être passagères, et l’impossibilité de l’exécution de la prestation du débiteur elle-même qui doit être définitive ou durable. Nous y reviendrons ci-dessous avec un exemple.
Si les conditions de l’impossibilité sont remplies l’obligation du débiteur s’éteint, toute action en exécution en nature est alors exclue et celui-ci est libéré de la prestation qu’il doit (article 119 al. 1 CO). Le débiteur n’est pas tenu de réparer le préjudice qui est ainsi causé au créancier, à condition qu’il fasse tout ce qui est en son pouvoir pour diminuer le préjudice, conformément aux règles de la bonne foi.
Dans les contrats synallagmatiques (à savoir dans un rapport d’échange entre les parties comme dans le cadre d’une vente : transfert de la propriété d’une chose contre le paiement du prix), l’extinction de la dette du débiteur devenue impossible provoque également celle de la contre-créance qu’il a contre son créancier (article 119 al. 2 CO). En d’autres termes, le créancier est aussi libéré de son obligation, les parties entrant dans un rapport de liquidation du contrat.
A noter que la loi exclut dans certains cas la libération du créancier et l’oblige à supporter les conséquences de l’impossibilité du débiteur (article 119 al. 3 CO). Tel sera par exemple le cas en matière de contrat de travail et de maladie de l’employé. Le salaire reste dû pendant un certain temps (article 324a CO).
Enfin, on relèvera que l’article 119 CO est de droit dispositif et que les parties peuvent prévoir un autre régime. On trouve notamment de tels dérogations dans les conditions générales (voir ci-dessous). Pour être complet, on précisera encore que l’impossibilité objective fautive relève de l’article 97 CO. Le débiteur est alors responsable du dommage subi et doit indemniser le créancier.
Les typiques situations où l’article 119 CO est susceptible de s’appliquer en lien avec le coronavirus (Covid-19) sont les cas où le guide de montagne est empêché de travailler parce que les autorités ont interdit toute sortie en montagne, le professeur de ski ne peut donner des cours car les installations sont fermées, le guide touristique doit rester à la maison en raison du confinement ou la manifestation sportive est annulée à cause d’une interdiction de rassemblement.
Dans toutes ces situations, le contrat entre les parties est éteint et ni le mandant, ni le mandataire ne doivent exécuter leur prestation respective. En d’autres termes, dans le cas du guide de montagne, le client ne peut forcer le guide à s’exécuter et celui-ci ne peut le contraindre à se faire payer. Chaque partie doit restituer ce qu’il a reçu.
Comme relevé ci-dessus, certains auteurs estiment que dans le cadre du coronavirus (Covid-19), il conviendrait de ne pas appliquer les règles sur l’impossibilité objective (119 CO) mais celles sur la demeure. Ils considèrent que l’impossibilité de la prestation du débiteur n’est que temporaire et qu’il pourra s’exécuter une fois les restrictions, notamment étatiques, levées. Ainsi le guide de montagne pourra exécuter sa prestation ultérieurement et n’est qu’en retard vis-à-vis de son client. Le contrat doit ainsi être considéré comme maintenu et le créancier dispose des voies prévues par l’article 107 CO (voir le titre suivant pour les possibilités ouvertes).
Nous ne partageons pas ce point de vue : nous estimons que si la cause de l’impossibilité n’est que passagère (interdiction temporaire pour les guides de se rendre en montagne avec des clients sur décision des autorités en lien avec le coronavirus (Covid-19)), l’impossibilité d’exécution de la prestation est belle et bien définitive/durable (le guide ne peut objectivement pas emmener son client à la date expressément convenue). Nous estimons donc que cette situation relève bien de l’article 119 CO et que tel devrait être le cas pour toute exécution contractuelle faite à une période ou à une date donnée, car le temps perdu ne peut plus être rattrapé. Aussi, nous estimons qu’en tout état de cause le caractère passager d’une impossibilité ne peut plus être retenu quand on ignore quand la cause de l’impossibilité disparaîtra, comme c’est le cas du coronavirus (Covid-19).
Admettre les règles sur la demeure impliquerait que le contrat soit maintenu et partant que le créancier pourrait maintenir l’exécution en fixant un délai de grâce au débiteur pour s’exécuter (ce qui est totalement inutile puisqu’on ignore quand la cause de l’impossibilité disparaîtra et que le débiteur ne pourra en tout état de cause pas s’exécuter pendant une période indéterminée). Aussi, il appartiendrait alors au créancier de prendre l’initiative sur la suite qu’il entendrait donner au contrat (exécution, résiliation ou résolution), ce qui peut poser des problèmes si le créancier n’a pas une connaissance exacte de la situation du débiteur. A notre sens la sécurité du droit impose la fin automatique du contrat, libre aux parties ensuite de conclure un nouvel accord (par exemple en fixant une autre date pour une sortie en montagne).
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L’application de l’article 119 CO pose toutefois des difficultés dans le cadre des contrats de durée (bail, travail, formation, etc.). Dans le cas du coronavirus (Covid-19), on pensera par exemple aux abonnements de fitness ou d’entrées aux spas. En effet, l’impossibilité est durable (l’établissement est fermé pour un certain temps, donc la prestation ne peut pas être exécutée) mais la cause est à nouveau temporaire (l’établissement va rouvrir une fois l’épidémie de coronavirus (Covid-19) terminée). Admettre dans cette hypothèse l’extinction du contrat paraît être une vue trop étroite négligeant l’intérêt des parties au maintien du contrat. Par ailleurs, appliquer simplement les règles sur la demeure (articles 107 et suivants CO) n’est pas non plus satisfaisante puisque le débiteur ne peut en tous les cas pas exécuter sa prestation (peu importe le délai fixé ou non par le créancier) et qu’il serait injuste que le créancier puisse se départir du contrat sans restriction. Il est évident qu’il y a ici une lacune du droit suisse qu’il conviendrait de combler comme par exemple en droit français (article 1218 du Code civil français).
A notre sens, l’impossibilité de la prestation affecte l’échange ou le moment particulier dans lequel elle s’inscrit sans compromettre les échanges ultérieurs. Ainsi, nous pensons que dans cette hypothèse, le contrat devrait être suspendu jusqu’à la fin de l’impossibilité. Le créancier devrait toutefois être en mesure de se départir du contrat si la durée de l’impossibilité affecte son intérêt à l’exécution. Le choix entre l’extinction totale du contrat et la réduction de l’obligation partiellement impossible devrait reposer sur une appréciation de l’ensemble des circonstances par le juge, en tenant compte de la volonté hypothétique des parties (article 20 al. 2 CO par analogie).
Impossibilité subjective non-fautive selon la partie générale du CO
La distinction entre impossibilité objective et subjective peut être malaisée. Si la première relève de l’article 119 CO, la seconde tombe sous le coup des articles 107 et suivants CO. A notre sens, si la prestation peut encore être objectivement possible, par exemple le débiteur peut la faire accomplir par un tiers à ses frais et risques (article 98 al. 1 CO), nous sommes en présence d’une impossibilité subjective. En d’autres termes, il y a impossibilité objective si les parties se sont mise d’accord de déroger à l’article 68 CO en convenant que la dette ne pouvait être exécutée que par le débiteur et que le créancier ne peut pas procéder à l’exécution par substitution (obligation strictement personnelle du débiteur comme en matière de contrat de travail).
Dans l’hypothèse du coronavirus (Covid-19), tel ne sera pas le cas par exemple du moniteur de rafting atteint de la maladie qui peut se faire remplacer par un collègue dans les délais. Idem du guide de montagne ou du moniteur de ski qui est malade sauf dans des cas exceptionnels où la personne du guide ou du moniteur est essentielle.
Dans toutes ces hypothèses, le créancier dont le débiteur est en retard peut à choix 1) poursuivre l’exécution en nature et exiger des dommages-intérêts moratoires, 2) résilier le contrat avec effet ex nunc et réclamer des dommages-intérêts positifs, qui correspondent à la bonne exécution du contrat (le créancier reste alors tenu d’effectuer sa propre prestation et peut éventuellement la compenser avec les dommages-intérêts réclamé) ou 3) peut résoudre le contrat avec effet ex tunc et réclamer des dommages-intérêts négatifs, correspondant à l’intérêt à la non-exécution du contrat (le contrat entre alors dans un rapport de liquidation avec restitution des prestations déjà effectuées).
La grande différence par rapport à l’article 119 CO est que le débiteur peut-être ici astreint au paiement de dommages-intérêts, s’il a commis une faute (la faute est toujours une condition pour l’octroi de dommages-intérêts sauf exception (par exemple l’article 103 al. 2 CO) ; la demeure en revanche n’exige aucune faute). Bien entendu, dans le cas du coronavirus (Covid-19), il s’agit d’un cas de force majeure, donc en principe le débiteur en demeure ne devrait pas répondre du dommage subi, sauf si par exemple, le moniteur s’est retrouvé atteint de la maladie en n’ayant pas respecté les prescriptions élémentaires de l’OFSP en matière de protection ou s’il n’a fautivement pas pu se faire remplacer dans les délais.
Encore une fois, il est possible de déroger aux règles ci-dessus par le biais de conditions générales valablement introduites dans le contrat (voir-dessous).
Les règles spéciales du CO
Les dispositions spéciales du Code des obligations suisse qui traitent d’une impossibilité d’exécuter le contrat sont rares. On retrouve certaines clauses en matière de contrat de travail (articles 324 et suivants CO), de vente (185 CO) et d’entreprise (article 378 et 379 CO).
Par exemple, l’article 378 CO prévoit que si l’exécution de l’ouvrage devient impossible par suite d’un cas fortuit survenu chez le maître, l’entrepreneur a droit au prix du travail fait et au remboursement des dépenses non comprises dans ce prix. Si c’est par la faute du maître que l’ouvrage n’a pu être exécuté, l’entrepreneur a droit en outre à des dommages-intérêts.
On envisagera l’application de ce dernier article par exemple lorsque le voyage est annulé par le client en raison d’une atteinte au coronavirus (Covid-19). L’organisateur du voyage a alors droit au minimum au remboursement de ses frais.
Aussi, en droit suisse, la force majeure ne se retrouve pratiquement qu’en matière de responsabilité subjective et objective ordinaire. Plus particulièrement, elle interrompt le rapport de causalité, la responsabilité de l’auteur de l’acte n’étant alors pas engagée. Ainsi, il convient de pas confondre la force majeure décrite en matière de responsabilité civile avec celle intégrée dans les clauses contractuelles même si le concept se recoupe largement.
A noter que le droit suisse distingue formellement la force majeure du cas fortuit. Cette distinction est importante dans la mesure où dans certaines situations la force majeure est libératoire mais pas le cas fortuit.
La loi ne donne aucune définition de la force majeure, il convient donc de se référer à la jurisprudence : on peut la définir comme un événement extérieur, extraordinaire, imprévisible, d’une violence insurmontable, entraînant la violation d’un devoir universel ou d’une obligation. Il peut donc s’agir d’un fait de la nature (tremblement de terre, épidémie, etc.), du fait de l’homme (guerres, contestations violentes, etc.) ou du fait du prince (embargo, etc.).
On retrouve la force majeure par exemple à l’article 487 CO (responsabilité de l’hôtelier s’agissant des effets apportés par les voyageurs) ou encore à l’article 103 CO (sont visés par cette disposition non seulement le cas fortuit mais également la force majeure).
Une concrétisation de la force majeure est également envisagée dans une certaine mesure pour les contrats de durée et notamment lorsque la loi ou la jurisprudence permet à une partie de se départir du contrat pour de justes motifs. Ainsi, en est-il par exemple, en matière de bail à loyer dès lors que l’article 266g CO stipule que si, pour de justes motifs, l’exécution du contrat devient intolérable pour une partie, celle-ci peut résilier le bail à n’importe quel moment, en observant le délai de congé légal. Il en va de même de l’entrepreneur qui peut résilier prématurément le contrat lorsqu’il est confronté à des circonstances rendant la continuation du contrat insupportable.
Conditions générales et force majeure
Il est très fréquent que les contrats intègrent des clauses spécifiques en matière de force majeure ou renvoient à conditions générales traitant de la question.
Ces clauses, qui dérogent au régime légal général ou aux dispositions particulières du Code des obligations sont parfaitement admissibles en droit suisse sous réserve d’abus.
En règle générale, les contrats conclus dans le commerce international sont explicites et prévoient des règles détaillées sur la définition du cas de force majeure, les modalités de mise en œuvre et les conséquences en résultant.
Ainsi, dans la plupart des cas, ils définissent la force majeure comme un empêchement temporaire de fournir une prestation, résultant de circonstances hors du contrôle de la personne qui invoque celle-ci, qui ne peuvent être ni évitées ni avoir été raisonnablement anticipées par les parties à la signature du contrat et dont la partie en défaut n’assume pas le risque.
En principe, les contrats contiennent ensuite une liste exemplative de situations relevant de la force majeure comme par exemple les guerres, les catastrophes naturelles, les épidémies, les sabotages, les attentats, les grèves, les émeutes ou encore les décisions d’autorités. La situation présentée par le coronavirus (Covid-19) tombe donc non seulement sous la catégorie « épidémies » mais également « décisions d’autorités » et correspond ainsi pleinement à la définition normalement acceptée de la force majeure.
Les contrats définissent également les obligations des parties qui soulèvent un tel cas (obligation d’aviser la partie adverse dans un certain délai, etc.), puis enfin les conséquences pour elles. Parmi ces dernières, le contrat peut ainsi prévoir diverses solutions comme par exemple la suspension de celui-ci pendant la durée de la force majeure, une extension des échéances contractuelles, la résiliation du contrat après un certain temps ou encore une répartition des coûts supportés par chacune des parties.
Hélas, les contrats conclus avec des consommateurs dans le domaine touristique ne sont généralement pas aussi explicites. Il suffit de naviguer sur internet pour s’apercevoir des disparités et parfois du manque de transparence de la part des prestataires. Aussi, les consommateurs sont souvent contraints d’accepter des conditions générales qui, dans leur grande majorité, ne sont pas négociables. Le professionnel décide donc unilatéralement de leur teneur. Enfin, il est bien connu que personne ne lit les conditions générales avant qu’un problème ne se pose comme c’est le cas actuellement avec le coronavirus (Covid-19).
Comparons par exemple les conditions générales de trois écoles dispensant des cours de ski en Suisse :
École suisse de ski d’Ovronnaz :
« Les cours ne pouvant être suivis (mauvais temps, fermeture des installations, maladie) ne sont pas remboursés mais déplacés. Si pour des raisons express (santé, fin de séjour) le cours ne peut être suivi dans les jours à venir, il sera possible de discuter un remboursement. »
École suisse de ski de Loèche-les-Bains :
« Les cas de force majeure (restrictions dues à la météo, tempête, danger d’avalanches, …), les départs prématurés, maladie, etc. ne donnent droit à aucun remboursement ou dédommagement. »
École suisse de ski de Villars :
« Les conditions météorologiques, les pannes de remontées mécaniques ou autres cas de force majeure indépendants de la volonté de la VSS ne sont en aucun cas une cause d’annulation ou de report dès lors que l’activité est assurée par la VSS. Dans un tel cas, aucun remboursement ou report ne sera effectué. Les prestations sont remboursées uniquement si 100% des installations de remontées mécaniques sur les communes d’Ollon et de Gryon sont fermées. »
Il ressort de ce qui précède que chaque école de ski, proposant exactement les mêmes prestations et faisant partie d’une même association, semble avoir une politique d’annulation différente (si tant est que l’on puisse comprendre ces conditions générales dont la rédaction est des plus mauvaises) : l’une d’elles octroie un remboursement, une autre exclut cette possibilité et enfin une troisième prévoit un déplacement des cours. Pour le surplus, on se demande légitimement comment un juge pourrait raisonnablement interpréter une clause générale prévoyant qu’« il sera possible de discuter un remboursement. » N’importe quoi vous avez dit ?
Malheureusement, le droit suisse ne permet pas de régler le problème des conditions générales de manière totalement satisfaisante.
En effet, hormis les quelques dispositions impératives du Code des obligation, la seule norme qui entre en ligne de compte est l’article 8 de la Loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD) qui prévoit que : « agit de façon déloyale celui qui, notamment, utilise des conditions générales qui, en contradiction avec les règles de la bonne foi prévoient, au détriment du consommateur, une disproportion notable et injustifiée entre les droits et les obligations découlant du contrat. »
La loi ne contient malheureusement pas d’exemples de clauses abusives. Seuls les tribunaux peuvent se prononcer sur le caractère abusif de conditions générales, au cas par cas.
Sur la base de la jurisprudence développée par le Tribunal fédéral, on peut néanmoins dégager les principes suivants :
- Le principe de la bonne foi (article 2 du Code civil) s’applique à l’interprétation des conditions générales. Aussi, conformément à l’article 18 CO, il y a lieu de rechercher la réelle et commune intention des parties, sans s’arrêter aux expressions ou dénominations exactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention.
- Lorsque les conditions générales ne sont pas claires, celles-ci seront interprétées au détriment de la partie qui les a rédigées. Dans de tels cas, la disposition sera interprétée de la manière dont le consommateur l’avait comprise.
- En présence de clauses inhabituelles, auxquelles le consommateur ne doit normalement pas s’attendre, elles ne seront opposables à ce dernier que si l’attention du cocontractant a été attirée, soit expressément, soit par la mise en évidence des clauses (imprimée en gras et bien lisible), sur le fait que le contrat s’écarte du contenu auquel il devrait normalement s’attendre.
- Lorsque les conditions générales contiennent des dispositions illégales, impossibles ou contraires aux bonnes mœurs, l’entier du contrat est réputé nul, dans la mesure où il y a lieu d’admettre que le contrat n’aurait pas été conclu sans ces clauses. S’il y a lieu d’admettre que le contrat aurait également été conclu sans les dispositions illégales, seules ces dernières sont réputées nulles (article 20 CO).
Les pays voisins de la Suisse mettent régulièrement à jour la liste des conditions générales de contrats considérées comme abusives.
Les autorités européennes considèrent en particulier comme abusives, les clauses prévoyant dans un contrat, le versement définitif de la totalité du prix, quel que soit le motif de l’annulation du contrat, même en cas d’inexécution de celui-ci imputable au professionnel ou causée par un cas fortuit ou de force majeure, alors même que le cas fortuit ou la force majeure est stipulée exonérer le professionnel de sa responsabilité.
Ainsi, dans le cadre du coronavirus (Covid-19), une clause contractuelle qui permettrait au professionnel dans l’impossibilité d’exécuter sa prestation, d’exiger la totalité du prix de celle-ci, tout en s’exonérant de toute responsabilité est à notre sens abusive et partant devrait être déclarée comme nulle sous l’angle de l’article 8 LCD et ce pour les raisons suivantes : tout d’abord, la clause est abusive en raison de sa généralité, le consommateur n’étant en principe pas d’accord de renoncer à tout remboursement dans n’importe quelle hypothèse. Le prestataire doit au moins énumérer les causes d’une exclusion de remboursement, le simple fait de mentionner la force majeure seule ne devrait pas suffire. Ainsi, dans le cas du guide montagne, le client peut s’attendre à devoir payer celui-ci en cas de mauvaise météo empêchant la course, mais certainement pas en cas de guerre ou d’épidémie.
Ensuite, la clause en question entraîne un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. On ne peut pas exiger du consommateur qu’il accepte à la fois de ne pas être remboursé et en même temps que l’organisateur s’exonère de toute responsabilité. Un tel déséquilibre ne devrait pas être admis.
Parfois, l’appréciation abusive d’une condition générale peut être délicate. Ainsi en est-il par exemple en matière d’organisation de spectacles (conditions générales d’Opus One) :
« En cas de report ou de changement du lieu de la manifestation, pour quelque raison que ce soit, le billet est automatiquement valable pour la nouvelle date ou le nouveau lieu de manifestation. Le remboursement ou l’échange des billets est généralement exclu. […] Lors de l’annulation d’un évènement, les billets sont remboursables, dans un délai de 30 jours à compter de la date du spectacle annulé, comme ci-dessous : »
Dans quelle mesure un organisateur de spectacles peut-il imposer une nouvelle date ou un report de manifestation à un spectateur en raison des restrictions imposées par les autorités dans le cadre du coronavirus (Covid-19) ? A notre sens, si le spectateur se trouve lui-même empêché d’assister à la représentation à la nouvelle date (par exemple, déplacement professionnel, fin des vacances, garde des enfants, etc.), le billet devrait être intégralement remboursé sur présentation d’un justificatif. Autre est la situation où le spectateur renonce pour de pures raisons de convenance personnelle. Dans ce cas, le billet ne devrait pas être remboursé du tout.
Cela démontre toute la difficulté d’interprétation des conditions générales afin d’aboutir à une solution équitable pour chacune des parties. Il ne fait aucun doute que les tribunaux auront fort à faire en la matière dans les mois qui suivront la sortie de la crise du coronavirus (Covid-19). Ils ne devront toutefois pas perdre de vue le point de départ de l’analyse qui est toujours que le professionnel doit supporter en premier lieu le risque économique et commercial inhérent à son entreprise.
Exorbitance et imprévision
Enfin, en pleine période du coronavirus (Covid-19), le débiteur peut être tenté de faire valoir le principe de l’exorbitance (hardship) afin de refuser d’exécuter strictement son obligation. L’exorbitance se distingue de l’impossibilité en ce sens que la prestation est toujours possible mais qu’elle exigerait du débiteur des sacrifices excessifs. Dans une telle situation, le débiteur n’est pas libéré de son obligation, mais le juge pourra sur la base de la théorie de l’imprévision (clausula rebus sic stantibus) adapter le contrat.
En d’autres termes, le juge pourra modifier le contrat lorsque la prise en compte des clauses contractuelles telles quelles paraît excessivement dure pour l’une des parties en raison de circonstances qui se sont modifiées après la conclusion du contrat. Il s’agit d’une exception au principe de la fidélité contractuelle qui ne peut être admise que dans des circonstances exceptionnelles. C’est principalement dans les contrats de durée (bail, travail, etc.) ou dont l’exécution est différée (contrats d’entreprise, livraisons successives, contrats de distribution, etc.) que la théorie de l’imprévision trouve à s’appliquer. Elle est d’ailleurs expressément consacrée à l’article 373 al. 2 CO. Aussi, il est possible que les parties elles-mêmes aient imaginé et réglé de tels changements de circonstances dans leur contrat. Ce dernier peut en effet prévoir le déclenchement d’une procédure de renégociation lors de la survenance de circonstances nouvelles, voire même envisager une adaptation du contrat ou la saisie du juge.
Les conditions d’application sont restrictives : en effet, il faut d’abord l’émergence de circonstances nouvelles et inévitables qui n’étaient raisonnablement pas prévisibles au moment de la conclusion du contrat. La bonne foi des parties est ici déterminante. Ensuite, le changement de circonstances doit avoir modifié de manière importante la charge que représente l’exécution de sa prestation par le débiteur. La question de l’appréciation de l’ampleur nécessaire de la charge pour le débiteur peut se révéler délicate.
A notre sens, la situation actuelle du coronavirus (Covid-19) remplit les conditions de l’imprévision. Les parties devraient pouvoir renégocier en partie leur contrat et permettre ainsi de trouver une solution à un litige potentiel. Ce n’est que si aucun accord n’est atteint que le juge interviendra. Il pourra ainsi, résoudre le contrat, écourter ou allonger la durée du contrat ou encore en modifier le contenu de celui-ci.
La question qui demeure en suspens et qui devra être réglée par les tribunaux est celle de savoir si la théorie de l’imprévision peut également être utilisée lorsque le contrat n’est pas excessivement onéreux pour le débiteur mais que la prestation du celui-ci est devenue inutile pour le créancier. Affaire à suivre sur ce point…
Coronavirus (Covid-19) et annulation d’hôtels
Le secteur touristique suisse, avec ses très nombreux hôtels, constitue l’un des piliers de notre économie.
Curieusement toutefois, le contrat d’hôtellerie ne fait pas l’objet d’un traitement spécifique dans le Code des obligations. Il est considéré comme un contrat innommé combinant à la fois un contrat d’hébergement et un contrat de restauration. Dans le premier contrat, l’aubergiste s’engage à mettre à disposition de son hôte une ou plusieurs chambres meublées pendant une durée déterminée. Dans le second, l’aubergiste fournit dans ses locaux des aliments et/ou des boissons à son hôte. A noter que les contrats d’hébergement purs, à savoir proposant exclusivement le gîte sans petit-déjeuner sont rares (par exemple sur la plateforme Airbnb selon les cas).
Il ressort de ce qui précède que le contrat d’hôtellerie comporte des éléments du bail (mise à disposition de la chambre, des installations sportives, etc.), de la vente (mise à disposition de la nourriture au buffet du petit-déjeuner), du contrat d’entreprise (préparation et service de la nourriture à table le soir), du mandat (service d’étage, nettoyage des chaussures, services de blanchisserie, etc.) et du dépôt (stockage des bagages). Toutefois, aucun de ces contrats ne peut s’appliquer tel quel : ainsi par exemple, en référence au contrat de bail, il n’appartient pas à l’hôte de faire des menus travaux dans la chambre.
Le contrat d’hôtellerie n’est soumis au respect d’aucune forme particulière. En règle générale, l’aubergiste a droit au paiement du prix convenu dès que la réservation est confirmée, même si celle-ci est par la suite annulée par le client ou que celui-ci ne l’utilise pas.
En pratique, chaque hôtel dispose de ses propres conditions générales. Cela est généralement le cas en matière de délais et de conditions d’annulation (voir par exemple les conditions d’annulation et de remboursement de la plateforme Airbnb suite au coronavirus (Covid-19)).
Il n’est pas rare de trouver des établissements qui réclament l’entier du montant, même si l’annulation intervient plusieurs jours avant le séjour. Un hôtel peut également appliquer différents régimes d’annulation, suivant que la réservation s’est faite par téléphone, par internet, directement ou en passant par un intermédiaire. Enfin, si rien n’est prévu, on estime que la résiliation doit être donnée au minimum 24 heures à l’avance. Certains hôtels dans les centres-villes sont plus souples. Bien entendu, les conditions générales ne doivent en tous les cas pas être abusives pour le consommateur et respecter les principes décrits dans la section précédente, sous peine de nullité.
A noter encore que le contrat d’hôtellerie peut également être terminé par les deux parties à travers une résiliation extraordinaire pour justes motifs (application de l’article 266g CO par analogie).
Enfin, les cas d’impossibilité non fautive sont régis par l’article 119 CO décrit ci-dessus.
Sur la base de ce qui précède, on peut répondre aux principales questions relatives aux annulations liées au coronavirus (Covid-19) comme suit :
- L’hôte annule le séjour parce qu’il est atteint du coronavirus (Covid-19) (impossibilité subjective). Les articles 107 et suivants du CO devraient s’appliquer mais les conditions générales des hôtels prévoient souvent l’obligation de payer les nuitées de la part du client. Il pourra éventuellement se faire rembourser par son assurance annulation ;
- Le client annule parce qu’il craint d’être contaminé par le coronavirus (Covid-19). Les conditions normales d’annulation prévue dans les conditions générales s’appliquent ici, l’hôte doit payer l’hôtel et peut éventuellement se faire rembourser par son assurance annulation ;
- L’hôte annule le séjour parce qu’il n’a plus d’intérêt (par exemple le domaine skiable est fermé sur ordre des autorités, annulation d’une manifestation sportive ou culturelle) mais l’hôtel reste ouvert. Ici également, les conditions normales d’annulation d’appliquent ;
- L’hôte souhaite partir plus tôt en raison du coronavirus (Covid-19). Application de l’article 266g CO par analogie envisageable selon les cas. Dommages-intérêts possibles pour l’hôtelier compte tenu de toutes les circonstances ;
- L’hôte annule son séjour parce qu’il est bloqué à l’étranger à cause d’un confinement ordonné par les autorités ou d’une fermeture des frontières (impossibilité objective) suite au coronavirus (Covid-19). Application de l’article 119 CO, l’hôte est libéré de son obligation de payer le prix convenu, pas de dommages-intérêts possibles en faveur de l’hôtelier ;
- L’hôtel est fermé ou placé en quarantaine sur décision des autorités et ne peut accueillir l’hôte. Application de l’article 119 CO, restitution des avances payées par l’hôte sans déduction possible, pas de dommages-intérêts possible en faveur de ce dernier ;
- L’hôtel décide volontairement de fermer ses portes à cause de l’épidémie de coronavirus (Covid-19). Annulation du contrat, restitution des avances payées par l’hôte et prétention en dommages-intérêts en faveur de ce dernier (par exemple réparation du dommage subi en raison de la location d’une chambre plus cher dans un autre hôtel) ;
- L’hôtel refuse un client provenant d’une région à risque. L’hôtelier ne peut pas annuler le contrat et s’expose au paiement de dommages-intérêts en faveur de l’hôte en cas d’inexécution ;
- L’hôtel est placé en quarantaine à cause du coronavirus (Covid-19), les clients ne peuvent pas partir. Cette situation inédite ne s’est jamais produite en Suisse. Nous estimons que l’hôte doit s’acquitter des coûts (uniquement) d’hébergement et de repas sur la base des règles relatives à l’enrichissement illégitime.
Coronavirus (Covid-19) et assurances annulation
Dans la grande majorité des cas, le consommateur ne devrait pas avoir à recourir à son assurance annulation à cause du coronavirus (Covid-19). En effet, c’est généralement au prestataire de services de rembourser le client conformément aux règles légales applicables ou aux conditions générales. Tel sera notamment le cas par exemple en matière d’annulation de voyages à forfait, de séjours hôteliers, de vols ou de croisières.
Il convient donc pour le client de contacter d’abord son cocontractant (voyagiste, compagnie aérienne, professionnel du tourisme, etc.). Pour les litiges avec celui-ci, les clients disposent généralement d’une assurance protection juridique qui permettra de prendre en charge les frais y afférents.
Il convient donc de garder à l’esprit que les assureurs n’interviennent qu’en dernier recours. Ce n’est que si un remboursement n’est pas possible que l’assurance annulation entre en jeu.
Bien entendu, il sied de prêter une attention particulière aux conditions générales. Comme toujours avec les assureurs, le diable se cache dans les détails. Ainsi par exemple, la plupart des PME ne peuvent pas compter sur l’assurance perte d’exploitation prévue pour les cas d’épidémies, car le risque pandémie (telle est la classification retenue par l’OMS par rapport au coronavirus (Covid-19)) n’est pas mentionné dans le contrat et partant n’est pas couvert. D’autres assureurs ne font pas la distinction entre épidémie et pandémie dans la couverture contre le risque de perte d’exploitation.
Ainsi par exemple, Européenne Assurances Voyages (Helvetia Compagnie Suisse d’Assurances SA) ne couvre pas (article 1.5 let. f CG) les événements consécutifs à une décision prise par les autorités (détention ou interdiction de sortie du territoire, fermeture de l’espace aérien, etc.), sous réserve des dispositions relatives à la protection juridique et aux catastrophes naturelles.
Pour le surplus, (article 2.2 A let. b CG) l’ERV accorde sa couverture d’assurance lorsque la personne assurée doit renoncer à sa prestation de voyage réservée, à la suite d’un événement mentionné ci-après, s’il est survenu après la conclusion de l’assurance ou la réservation de la prestation de voyage: b) grèves (sous réserve de la participation active) sur le trajet prévu à l’étranger. Des troubles de tout genre, une quarantaine, des épidémies ou des dommages causés par les forces de la nature à la destination du voyage, s’ils mettent concrètement en danger la vie et les biens de la personne assurée.
Pour sa part, le Livret ETI du TCS prévoit également que sont assurés (article 2.4.7) pour l’annulation d’un voyage les événements suivants : b. émeutes, attentats terroristes, épidémies, mises en quarantaine ou catastrophes naturelles au cours de l’itinéraire de voyage et sur le lieu de destination du voyage, si un risque concret existe pour la vie du bénéficiaire.