Imposition des travailleurs détachés et des salariés de courte durée en Suisse

imposition des travailleurs détachés en Suisse

Introduction

La Suisse est essentiellement un pays importateur de main-d’œuvre étrangère. Pourtant, l’employeur qui détache des collaborateurs chez nous ou simplement le salarié qui entend travailler durant une courte période en Suisse est souvent confronté à des règles de droit fiscal complexes. Au travers de cet article, nos avocats reviennent sur l’assujettissement fiscal des travailleurs de courte durée et le détachement transfrontalier en Suisse. La taxation des frontaliers sera également abordée, de même que les aspects procéduraux.

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CROCE & associés SA est l’une des rares études d’avocats suisses spécialisée en droit de l’immigration depuis près de 15 ans. Le cabinet s’occupe à la fois de la relocalisation de familles, avec ou sans activité lucrative (forfaits fiscaux, retraite, etc.), mais également de l’obtention de permis de séjour pour les employés d’entreprises suisses, européennes et internationales. Dans ce cadre, les avocats procèdent à la notification de travailleurs détachés, aux demandes de permis de courte ou de longue durée, à l’octroi d’autorisations 4 mois ou 120 jours, aux requêtes en délivrance de permis d’établissement, y compris l’acquisition de la nationalité suisse et ce sur tout le territoire, aussi bien en français, en italien ou en allemand. Bien entendu, les services couvrent également les divers aspects relatifs au droit du travail suisse (calcul des salaires, procédures administratives par devant les autorités de la main-d’œuvre étrangère), au droit fiscal international et aux assurances sociales.

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 A titre préliminaire, on formulera les remarques importantes suivantes :

1. Il sied d’opérer une distinction fondamentale entre travailleur détaché et activité salariée en Suisse. Il y a détachement de travailleurs lorsqu’un employeur, ayant son siège à l’étranger, envoie des collaborateurs en Suisse, pour une durée limitée, afin de fournir une prestation de travail pour son compte et sous sa direction dans le cadre d’un contrat de services conclu entre lui-même et le destinataire de la prestation en Suisse ou dans le but de travailler dans une filiale ou une société du groupe de son employeur, étant précisé que la distinction avec une activité salariée en Suisse peut être délicate dans cette dernière hypothèse. Le travailleur détaché reste ainsi subordonné à son employeur à l’étranger, qui décide de la fin du détachement et des modifications de ses conditions de travail. Il n’est ainsi pas lié par un contrat de travail avec l’entreprise suisse et est supposé retourner dans son pays d’origine après la fin du détachement. Il n’est donc pas, contrairement au travailleur migrant en Suisse, intégré au marché du travail suisse.

2. Hormis en matière d’imposition à la source, le type de permis de séjour délivré au travailleur est indépendant de son statut fiscal qu’il convient d’examiner à l’aune du droit interne suisse et du droit international.

Du point de vue des autorités de l’immigration, les travailleurs détachés n’auront généralement soit aucune démarche administrative à effectuer (règle des huit jours), soit qu’une simple notification de la part de leur employeur (règle des 90 jours). Plus rarement, ils se verront octroyer une autorisation de travail pour 4 mois ou 120 jours et encore plus rarement ils obtiendront un permis L ou un permis B (pour les détachements de longue durée). Enfin, si le travailleur détaché rentre tous les jours de l’autre côté de la frontière, il se verra octroyer une assurance d’autorisation en lieu et place d’un permis B ou L, étant précisé que le permis G frontalier est réservé pour les contrats de travail avec un employeur suisse.

Les travailleurs salariés auprès d’une entreprise suisse feront eux l’objet d’une simple notification (jusqu’à 3 mois pour les ressortissants de l’Union européenne/AELE) ou se verront délivrer un permis de séjour de type L (séjour inférieur à une année) ou B (séjour de plus longue durée).

Enfin, un permis G est octroyé aux travailleurs qui habitent dans un pays de l’Union européenne limitrophe (la France, l’Allemagne, l’Autriche, le Liechtenstein et l’Italie), qui sont aux services d’un employeur suisse et qui retournent au moins une fois par semaine à leur domicile à l’étranger (mais plutôt généralement tous les jours).

En règle générale, l’émission d’un permis B ou L (en tant que travailleur détaché ou non) nécessite une prise de domicile en Suisse. Toutefois, cela ne veut pas forcément impliquer un domicile fiscal. En effet, il peut se produire par exemple des cas de détachements de travailleurs supérieurs à 120 jours ou 4 mois où le collaborateur rentre chez lui chaque semaine auprès de sa famille.

3. Au niveau fiscal, en présence d’éléments internationaux (lieu de travail et résidence dans des pays différents), la démarche doit toujours être effectuée comme suit :

– Il convient dans un premier temps de se reporter aux règles internes suisses afin de déterminer si le travailleur est domicilié ou résident fiscal en Suisse.

– Si la conclusion est positive, il sied alors d’examiner les règles de conflit d’assujettissement prévues par les éventuelles conventions de lutte contre les doubles impositions signées par la Suisse.

– Une fois le domicile fiscal déterminé d’après la convention, on se reportera aux dispositions spécifiques de celle-ci afin de savoir quel pays est en droit d’imposer le travailleur.

I) La notion de domicile et de résidence au regard du droit interne fiscal suisse

D’après les articles 3 et 6 de la Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD ; RS 642.11), les personnes physiques sont assujetties de manière illimitée en Suisse, à savoir sur leurs revenus mondiaux, lorsqu’au regard du droit fiscal, elles sont domiciliées ou séjournent en Suisse.

Une personne a son domicile en Suisse au regard du droit fiscal lorsqu’elle y réside avec l’intention de s’y établir durablement. Une personne séjourne en Suisse lorsque, sans interruption notable, elle y réside pendant 30 jours au moins et y exerce une activité lucrative.

La Loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID ; RS 642.14), destinée aux impôts cantonaux et communaux, prévoit des dispositions quasi-identiques même si les notions de domicile et de résidence ne se recoupent pas parfaitement avec l’impôt fédéral direct.

A) Le domicile fiscal en Suisse

Le domicile au regard du droit fiscal est une notion autonome du droit civil, même si la définition donnée par la loi fiscale est très proche de l’article 23 du Code civil suisse.

La création d’un domicile fiscal suppose deux conditions cumulatives, l’une objective, à savoir le séjour en un lieu donné et l’autre subjective, l’intention de s’y établir durablement. La première condition requiert la présence d’une personne physique en un lieu donné. On entend par là le lieu où le contribuable passe ses nuits et non celui où la personne travaille pendant la journée. La loi ne précise pas la durée minimale et il n’importe pas que le séjour soit de durée déterminée ou limitée.

La seconde condition représente le centre des intérêts personnelles et économiques du contribuable. Là encore, le contribuable ne doit pas nécessairement avoir la volonté de faire de ce lieu le centre de ses intérêts vitaux pour une durée illimitée ou indéterminée. 

On relèvera encore que le lieu où les papiers sont déposés ou celui de l’exercice des droits politiques (domicile politique) n’est pas décisif mais constitue uniquement un indice du domicile fiscal. De même, le lieu où la personne possède le centre de ses intérêts personnels se détermine selon des critères objectifs et non d’après les seules déclarations du contribuable. On ne peut donc pas librement déterminer son domicile fiscal.

Enfin, il y a lieu d’appliquer le principe de la rémanence du domicile fiscal en ce sens qu’il ne suffit pas, pour admettre la constitution d’un nouveau domicile fiscal, d’avoir coupé les liens avec le domicile antérieur ; il faut au contraire s’en être constitué un nouveau. Ainsi, le contribuable qui abandonne son domicile suisse pour partir à l’étranger conserve son domicile fiscal au lieu de son ancien domicile tant qu’il ne s’en est pas constitué un nouveau au lieu de sa nouvelle installation. Il en va ainsi par exemple du globe-trotteur qui a formellement quitté la Suisse pour vivre sur son bateau et faire le tour du monde. Celui-ci reste assujetti illimité en Suisse tant qu’il ne s’est pas constitué un nouveau domicile fiscal et quand bien même il aurait vécu plusieurs années sur son embarcation.

Il ressort de ce qui précède que le contribuable, au bénéfice d’un permis B ou L, qui décide de s’installer et de travailler en Suisse (pour un employeur suisse ou étranger, en tant que travailleur détaché ou non) avec son conjoint et ses enfants, sera dans la plupart des cas considéré comme domicilié fiscalement en Suisse. Il importe peu que la famille anticipe de séjourner dans notre pays pour une durée de quelques mois uniquement.

La situation est en revanche plus complexe lorsque le contribuable séjourne alternativement en plusieurs endroits. On pensera par exemple à celui qui, sans avoir le statut de frontalier, travaille en Suisse avec un permis B ou L, mais retourne très régulièrement (par exemple le week-end) auprès de son conjoint et de ses enfants dans un autre pays. On assiste ici à une dichotomie entre les intérêts économiques créés par l’exercice d’une activité lucrative et ceux personnels tenant au lieu de résidence de la famille. La jurisprudence en la matière est complexe mais peut être résumée comme suit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_580/2017 du 16 mars 2018) :

« Si une personne séjourne alternativement à deux endroits, ce qui est notamment le cas lorsque le lieu de travail ne coïncide pas avec le lieu de résidence habituelle, son domicile fiscal se trouve au lieu avec lequel elle a les relations les plus étroites (ATF 132 I 29 consid. 4.2 p. 36 ; 131 I 145 consid. 4.1 p. 149 s. ; 125 I 458 consid. 2c p. 467). Pour le contribuable exerçant une activité lucrative dépendante, le domicile fiscal se trouve en principe à son lieu de travail, soit au lieu à partir duquel il exerce quotidiennement son activité lucrative, pour une longue durée ou pour un temps indéterminé, en vue de subvenir à ses besoins (cf. ATF 132 I 29 consid. 4.2 p. 36; 125 I 54 consid. 2b p. 56). 

Pour le contribuable marié qui exerce une activité lucrative dépendante sans avoir de fonction dirigeante, ainsi que pour les personnes vivant en concubinage dans la même situation, les liens créés par les rapports personnels et familiaux (époux, concubin, enfants) sont tenus pour plus forts que ceux tissés au lieu de travail ; pour cette raison, ces personnes sont imposables en principe au lieu de résidence de la famille, même lorsqu’elles ne rentrent dans leur famille que pour les fins de semaine et durant leur temps libre (cf. ATF 132 I 29 consid. 4.2 p. 36 ; arrêt 2C_163/2015 du 20 août 2015 consid. 5.2). Il en va différemment en principe lorsque le contribuable exerce une activité lucrative dépendante dans une fonction dirigeante. Dans ce cas, il faut présumer que le centre de ses intérêts se trouve au lieu de son travail. Cette présomption peut être renversée en prouvant l’existence de rapports particulièrement intenses avec le lieu de résidence de la famille (cf. ATF 132 I 29 consid. 4.2 p. 37 et 5.3 p. 41 ; arrêt 2C_301/2017 du 13 novembre 2017 consid. 4.2).

Les principes qui précèdent s’appliquent également au contribuable célibataire, séparé ou veuf, car la jurisprudence considère que les parents et les frères et sœurs de celui-ci font partie de la famille. Toutefois, les critères qui conduisent le Tribunal fédéral à désigner non pas le lieu où le contribuable travaille, mais celui où réside sa famille doivent être appliqués de manière particulièrement stricte, dans la mesure où les liens avec les parents et la fratrie sont généralement plus distants que ceux entre époux et avec les enfants (ATF 125 I 54 consid. 2b/bb p. 57). En pareilles circonstances, la durée des rapports de travail et l’âge du contribuable ont une importance particulière. Le Tribunal fédéral considère ainsi que les relations du contribuable célibataire avec ses parents sont en général moins étroites, lorsque celui-ci a plus de trente ans et qu’il réside sur son lieu de travail de manière ininterrompue depuis plus de cinq ans (cf. ATF 125 I 54 consid. 2b/bb p. 57; arrêts 2C_311/2014 du 30 avril 2015 consid. 2.2 ; 2C_854/2013 du 12 février 2014 consid. 5.1 et les références citées).

Ainsi, en présence d’un contribuable de plus de trente ans qui exerce une activité lucrative dépendante, on présume qu’il a son domicile fiscal principal au lieu où il séjourne durant la semaine et à partir duquel il se rend à son travail. Cette présomption peut être renversée si le contribuable rentre régulièrement, au moins une fois par semaine, au lieu de résidence des membres de sa famille et qu’il parvient à démontrer qu’il entretient avec ceux-ci des liens particulièrement étroits et jouit dans ce même lieu d’autres relations personnelles et sociales (cf. arrêts 2C_1045/2016 du 3 août 2017 consid. 3.4 et les arrêts cités ; 2C_518/2011 du 1 er février 2012 consid. 2.2). »

On relèvera que cet arrêt a été rendu dans un contexte de droit fiscal intercantonal et non international. Or, en droit international tout comme pour l’impôt fédéral direct, il convient d’appliquer en premier lieu le principe de l’unité du domicile fiscal. On ne saurait ainsi avoir des domiciles fiscaux alternants ou même des séjours saisonniers. En second lieu, le droit fiscal international ne connaît pas la notion de « position dirigeante », si bien que le simple fait d’avoir une activité professionnelle intense (poste à responsabilité avec sous ses ordres un personnel nombreux), ne saurait ispo facto faire passer les liens sociaux et familiaux au second plan. Au contraire, il convient à notre sens de privilégier les rapports personnels plutôt que les liens économiques.

On peut déduire de ce qui précède que le contribuable, au bénéfice d’un permis B ou L, qui n’a aucun lien avec la Suisse hormis son travail auprès d’un employeur local et qui rentre régulièrement dans son pays d’origine (par exemple en fin de semaine) auprès de sa famille restée à l’étranger ne devrait pas être considéré comme domicilié fiscalement en Suisse, faute d’intention de faire de la Suisse le centre de ses intérêts vitaux, et ce peu importe qu’il exerce ou non une fonction dirigeante au sein de l’entreprise. Bien entendu, une analyse au cas par cas devrait être faite selon des critères objectifs (par exemple l’achat d’un bien immobilier en Suisse, le lieu de réception de la correspondance, la destination des appels téléphoniques, le pays de l’assurance-maladie, la vie associative et les loisirs, vacances et séjours de la famille en Suisse, etc.).

B) La résidence fiscale en Suisse

Comme il l’a été relevé ci-dessus, un assujettissement illimité aux impôts en Suisse peut être fondé non seulement sur le domicile fiscal mais également sur la résidence qualifiée. Ainsi, la personne physique qui séjourne et travaille en Suisse pendant 30 jours sans interruption notable est considérée comme résident fiscal dans notre pays. Il convient d’emblée de préciser que cette disposition devrait s’appliquer de manière restrictive et à titre subsidiaire. Des interruptions régulières, mêmes brèves, suffisent à faire obstacle à l’assujettissement illimité. On ne saurait ainsi additionner de petites unités de temps, une certaine continuité est exigée. Ainsi, le travailleur détaché, le frontalier ou même l’employé d’une société suisse qui exerce une activité dépendante pendant de courtes périodes, durant la semaine par exemple, n’est pas considéré comme résident fiscal en Suisse (article 91 LIFD).

Sont dès lors en principe immédiatement exclus les travailleurs faisant l’objet d’une procédure d’annonce en Suisse de même que ceux au bénéfice d’une autorisation 120 jours ou 4 mois qui rentrent dans leur pays d’origine les week-ends ou qui ne séjournent pas en Suisse plus de 30 jours d’un seul bloc.

A noter que si la durée minimale est dépassée, l’assujettissement fiscal illimité en Suisse rétroagit au premier jour du séjour. Aussi, dans le décompte, il convient de prendre en considération les jours d’arrivée et de départ, les samedis, les dimanches et les jours fériés ainsi que les vacances passées en Suisse.

C) Conséquences fiscales et fardeau de la preuve

En cas d’assujettissement illimité, le travailleur sera imposé en Suisse sur ses revenus mondiaux (au niveau fédéral, cantonal et communal) ainsi que sur sa fortune mondiale (au niveau cantonal et communal uniquement), sous réserve d’exceptions du droit interne suisse (par exemple sur les revenus et la fortune provenant d’immeubles situés à l’étranger ou les établissements stables/entreprises situés également hors de Suisse) ainsi que des règles prévues par les conventions internationales de lutte contre la double imposition.

L’assujettissement débute le jour où le contribuable prend domicile en Suisse ou y commence son séjour au regard du droit fiscal (article 8 LIFD).

Au niveau fédéral, les travailleurs détachés assujettis de manière illimitée en Suisse, occupant une fonction dirigeante  ainsi que les spécialistes disposant de qualifications professionnelles particulières, peuvent faire valoir des déductions complémentaires prévues par l’article 2 alinéa 2 de l’Ordonnance du Département fédéral des finances concernant les expatriés du 1er janvier 2016 (Oexpa ; RS 642.118.3) en sus des frais professionnels prévus par l’Ordonnance du 10 février 1993 sur les frais professionnels. Cela concerne en particulier les frais nécessaires de déménagement, les frais nécessaires de voyage aller-retour au début et à la fin des rapports de travail, les frais de logement en Suisse si l’expatrié conserve à l’étranger une habitation permanente destinée à son usage personnel ainsi que les frais pour l’enseignement en langue étrangère dispensé par une école privée aux enfants mineurs de langue étrangère, dans la mesure où les écoles publiques n’offrent pas d’enseignement dans leur langue. Des conditions restrictives s’appliquent toutefois.

Depuis 2016, les spécialistes qui exercent en Suisse une activité temporaire de salarié ne peuvent toutefois plus bénéficier de l’Oexpa.

Conformément aux articles 123 et suivants LIFD, il appartient aux autorités fiscales d’établir d’office les éléments constitutifs d’une résidence ou d’un domicile fiscal en Suisse. Toutefois, le contribuable est tenu de collaborer à l’établissement des faits et doit fournir tous les renseignements nécessaires sur son assujettissement. En particulier, il doit transmettre à l’autorité fiscale tout élément propre à réfuter sa résidence ou son domicile fiscal en Suisse. Le fait qu’un contribuable travaille durant la semaine en Suisse créé une présomption que le centre de ses intérêts vitaux se trouve dans ce pays et il appartient à la personne qui conteste son domicile ou sa résidence fiscale d’apporter la preuve qu’elle rentre les week-ends dans son pays d’origine ou qu’elle entretient des liens plus étroits avec sa famille à l’étranger.

II) L’assujettissement fiscal limité en Suisse

Quand bien même, le travailleur détaché ou de courte durée ne serait pas assujetti de manière illimitée en Suisse, c’est-à-dire qu’il n’est ni domicilié, ni résident fiscal en Suisse, il convient de se poser la question d’un assujettissement limité en raison de circonstances particulières de rattachement économique, conformément à l’article 5 LIFD.

En effet, d’après cette disposition, sont imposées en Suisse les personnes qui exercent une activité lucrative dans notre pays (une présence personnelle est néanmoins exigée). Elles sont généralement taxées à la source, mais pas forcément (par exemple les travailleurs détachés), nous y reviendrons ci-après. On vise ainsi ici notamment les personnes suivantes :

– Les frontaliers ;

– Les travailleurs détachés, peu importe la durée du travail en Suisse ;

– Les détenteurs d’un permis L, éventuellement B, non-résidents et non domiciliés.

Dans l’hypothèse d’un assujettissement fiscal limité, l’imposition est restreinte aux parties du revenu imposé en Suisse, en l’espèce le revenu provenant de l’activité lucrative déployée dans notre pays (article 6 LIFD). Au niveau du taux d’imposition, une distinction s’impose ; En effet, l’article 7 alinéa 1 LIFD prévoit que les personnes physiques qui ne sont que partiellement assujetties à l’impôt sur le revenu en Suisse se voient appliquer le taux auquel leur revenu serait imposé si tous les éléments étaient imposables en Suisse (principe de la progressivité du taux d’imposition). Cette disposition ne s’applique pas aux travailleurs imposés à la source comme les frontaliers ou les travailleurs salariés d’une société suisse. En revanche, les travailleurs détachés non imposés à la source devraient être soumis à l’article 7 alinéa 1 LIFD. En conséquence, ils sont censés déclarer au fisc suisse l’ensemble de leurs revenus mondiaux.

On relèvera que l’assujettissement limité pose des problèmes de comptabilité avec les conventions internationales de lutte contre la double imposition. Nous y reviendrons dans le détail.

A noter enfin que les travailleurs détachés assujettis de manière limitée en Suisse (les spécialistes ou ceux exerçant une fonction dirigeante) peuvent faire valoir au niveau fédéral les déductions complémentaires prévues par l’article 2 alinéa 1 Oexpa. Il s’agit des frais nécessaires aux voyages entre le domicile à l’étranger et la Suisse ainsi que les frais raisonnables de logement en Suisse si l’expatrié conserve à l’étranger une habitation permanente destinée à son usage personnel. Des conditions restrictives s’appliquent toutefois.

III) Le prélèvement fiscal à la source

A) Imposition à la source des travailleurs résidents ou domiciliés fiscalement en Suisse

L’imposition à la source se distingue de l’imposition ordinaire par sa perception. En effet, l’impôt sur le revenu n’est dans cette hypothèse pas versé par le bénéficiaire de la somme imposable (l’employé) mais par son débiteur (l’employeur).

Sont notamment assujettis à l’impôt à la source, les salariés étrangers domiciliés ou en séjour en Suisse au bénéfice d’un permis B ou L (article 83 LIFD).

Cette méthode d’imposition a une double finalité : elle sert d’une part à lutter contre l’évasion fiscale dans le cadre par exemple d’un travailleur de courte durée qui quitterait la Suisse sans s’être acquitté de ses impôts et d’autre part afin de faciliter les démarches des nouveaux étrangers arrivant sur le territoire, peu familiers avec les lois suisses et parfois les langues nationales.

Les détenteurs d’un permis d’établissement (permis C) sont en revanche imposés selon le régime fiscal ordinaire.

Il est impossible de détailler ici toutes les règles relatives à l’imposition à la source. On se bornera à quelques remarques importantes suivantes :

1. Tous les revenus d’une activité lucrative dépendante sont concernés par l’impôt à la source (salaire, bonus, heures supplémentaires, plans d’intéressement, primes pour ancienneté de service, indemnités pour les repas et le transport, etc.). La base de calcul pour la retenue est le revenu brut et non net. Cela s’explique par le fait que les contributions à la sécurité sociale (1er et 2ème piliers), les cotisations aux assurances accidents et perte de gains maladie, les frais de transport du domicile au travail, les allocations pour enfants et les autres déductions sont d’ores et déjà comprises dans les différents barèmes d’imposition.

2. Les personnes domiciliées/résidentes en Suisse ont la possibilité d’être taxées non pas à la source mais selon le régime fiscal ordinaire. Il suffit d’en faire la demande. Elles peuvent ainsi bénéficier de toutes les déductions prévues par le droit fédéral et cantonal. En revanche, ce choix sera irrévocable dès 2021 (nouvelle loi), c’est-à-dire jusqu’à la fin de l’assujettissement à l’impôt à la source.

3. Il existe différents barèmes (progressifs d’après le salaire annuel) en fonction de la situation familiale du contribuable (marié, célibataire, divorcé, veuf/veuve, etc.) et du nombre d’enfants. Ainsi par exemple, on appliquera le tarif A0 pour une personne célibataire sans enfant. Une personne célibataire avec un enfant se verra appliquer le tarif H1, et en présence de deux enfants H2. Les couples mariés avec ou sans enfant seront soumis au tarif B ou C, selon que le conjoint exerce une activité lucrative en Suisse ou à l’étranger. Il ressort de ce qui précède qu’il est hautement important que l’employé informe immédiatement son employeur en cas de changement de circonstances familiales (mariage, divorce, naissance d’un enfant, changement de type de permis, etc.). Normalement une déclaration à cet égard doit être remplie chaque début d’année et remise à l’employeur.

4. Dans certaines situations, la taxation à la source n’a qu’une fonction de garantie, le contribuable (l’employé) devant ensuite remplir une taxation ordinaire subséquente. Il sera alors soumis aux règles fiscales et aux barèmes ordinaires. Tel est notamment le cas par exemple à Genève si le contribuable possède un bien immobilier, de la fortune (CHF 82’040 pour une personne seule sans enfant, CHF 164’080 pour un couple marié sans enfant et CHF 164’080 + CHF 41’020 par enfant pour les personnes seules ou les couples mariés), d’autres sources de revenus (dès 2021 en lieu et place de la taxation ordinaire complémentaire actuelle) ou un salaire élevé (CHF 120’000 par personne par année dès 2021). La démarche doit s’effectuer à Genève par le biais d’une demande de rectification (voir ci-dessous).

5. Il existe aussi des situations dans lesquelles l’employé peut effectuer une rectification auprès de l’administration fiscale genevoise. C’est le cas principalement lorsque celui-ci est soumis à la taxation ordinaire subséquente afin par exemple de déclarer les autres éléments du revenu ou la fortune (voir le point 4), s’il peut faire valoir certaines déductions spéciales (par exemple la contribution au 3ème pilier A, les frais de formation, les frais de garde des enfants, etc. ; à noter que ce régime disparaîtra en 2021, afin de faire valoir ces déductions, le contribuable devra choisir d’être taxé selon le régime ordinaire comme relevé ci-dessus) ou encore afin de solliciter un ajustement du barème C (en effet, le barème C prend comme revenu de l’activité lucrative du conjoint un revenu hypothétique annuel de CHF 65’100. Or, il se peut que le conjoint perçoive une somme inférieure, principalement dans l’hypothèse où il travaille en France où les salaires sont moins élevés ; la rectification du barème C est ainsi particulièrement importante pour les frontaliers). La demande de rectification doit être envoyée au plus tard le 31 mars (31 mai pour 2020) de l’année qui suit la période fiscale, accompagnée des documents nécessaires.

6. Enfin on relèvera que le régime de l’imposition à la source va être remanié en profondeur en 2021, y compris la circulaire n°45 de l’Administration fédérale des contributions (AFC) du 12 juin 2019. Nous vous invitons à consulter notre article sur la question pour les détails relatifs à cette modification.

B) Imposition à la source des travailleurs ni résidents, ni domiciliés fiscalement en Suisse (assujettissement limité)

D’après l’article 91 LIFD, les travailleurs qui, sans être domiciliés ni en séjour en Suisse, y exercent une activité lucrative dépendante pendant de courtes périodes, durant la semaine, sont soumis à l’impôt à la source sur le revenu de leur activité. Peu importe que la personne soit au bénéfice d’un permis C ou non ou même possède la nationalité suisse.

On vise ici principalement le salarié, au bénéfice d’un permis L ou B, qui travaille pour un employeur suisse en Suisse durant la semaine mais qui rentre le week-end à son domicile à l’étranger.

Les frontaliers (permis G) font l’objet d’un régime fiscal spécifique détaillé ci-après. Les travailleurs détachés eux ne peuvent pas être soumis à l’impôt à la source (voir ci-dessous).

Le contribuable est ainsi assujetti de manière limitée sur les revenus de son activité lucrative. Il n’a pas à payer d’impôt sur ses autres revenus étrangers ou sa fortune (sous réserve de la détermination du taux pour les revenus étrangers du travail). En cas d’autres revenus suisses en revanche, une taxation séparée sera effectuée de manière indépendante et distincte, et l’administration fiscale peut dans cette hypothèse appliquer d’office une taxation ordinaire subséquente.  

A noter qu’en vertu du principe de l’interdiction de discrimination, si au moins 90 % des revenus mondiaux bruts réalisés durant l’année fiscale concernée sont imposables en Suisse (on parle de quasi-résidence), une personne soumise à l’imposition à la source résidant à l’étranger peut jusqu’au 31 mars de l’année suivant l’année fiscale concernée, adresser une demande de taxation ordinaire ultérieure à l’autorité de taxation compétente. L’imposition à la source n’aura ainsi qu’une fonction de garantie et les personnes domiciliées à l’étranger pourront être traitées de manière équivalente aux personnes résidentes et domiciliées fiscalement en Suisse. La demande doit être renouvelée chaque année.

Comme indiqué ci-dessus, l’imposition à la source de ces travailleurs est limitée par les conventions de double imposition.

C) L’imposition à la source des frontaliers

Bien que le terme ne soit généralement pas uniformément défini dans la loi ou les conventions, on entend par frontalier au sens du droit fiscal une personne vivant près d’un état et franchissant, en principe tous les jours ou à tout le moins régulièrement, la frontière afin d’y exercer une activité lucrative.

Le Modèle de convention concernant le revenu et la fortune de l’Organisation de coopération et de développement économiques (CM-OCDE) ne contient aucune règle d’imposition sur les travailleurs frontaliers, préférant laisser le soin aux états de se mettre d’accord entre eux, en fonction des conditions locales. Il est en effet très difficile de définir des règles rigides et immuables en pratique dans ce domaine et des solutions spécifiques doivent être dégagées pour chaque situation.

Le traitement fiscal des frontaliers varie en fonction d’une part de leur état de domicile et d’autre part du canton de travail en Suisse.

La Suisse est voisine avec 5 états, la France, l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche et le Liechtenstein. Elle a conclu des conventions de double imposition (CDI) et/ou des accords spécifiques avec chacun de ses états. On se bornera ici à présenter les régimes applicables avec la France, l’Italie et l’Allemagne.

Le régime fiscal des frontaliers entre la France et la Suisse fait l’objet de deux accords distincts. A Genève, selon un accord du 29 janvier 1973, le droit d’imposition appartient à l’état d’exercice du travail (imposition à la source). A titre de compensation, Genève reverse annuellement aux collectivités locales françaises 3.5% de la masse salariale brut.

S’agissant de 8 autres cantons (Vaud, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Valais, Soleure, Neuchâtel, Jura et Berne), c’est le lieu de résidence du frontalier qui est déterminant pour l’imposition, mais la France reverse 4.5% de la masse totale salariale brut à la Suisse (accord du 11 avril 1983). En règle générale, les frontaliers rentrent chaque jour à leur domicile en France. On admet toutefois (échange de lettres entre la Suisse et la France des 21 et 24 février 2005), que le travailleur ne rejoigne pas son domicile en France un jour par semaine ou 45 jours par année (nuitées en Suisse ou déplacements pour le travail dans un pays tiers), essentiellement pour des raisons professionnelles. En cas d’emploi inférieur à une année, le plafond des 45 jours est ramené à 20% des journées de travail. Dans l’hypothèse d’un emploi à temps partiel pendant l’année entière, les 45 jours sont diminués proportionnellement. Par ailleurs, le temps de trajet entre le lieu de domicile et de travail ne doit pas être supérieur à 3 heures aller-retour. Enfin, une attestation de résidence fiscale doit être remise à l’employeur (échange de lettres entre la Suisse et la France des 5 et 12 juillet 2007). Si l’une ou l’autre de ces conditions n’est pas remplie, le travailleur est alors imposé à la source dans ces cantons.

Avec Italie, un accord du 3 octobre 1974 pose le principe d’une imposition fiscale au lieu de travail. Les cantons du Valais, du Tessin et des Grisons reversent toutefois actuellement 38.8% du montant des impôts bruts perçus sur les rémunérations des frontaliers italiens. En décembre 2015, la Suisse et l’Italie ont paraphé un nouvel accord sur l’imposition des frontaliers. Il prévoyait une imposition à hauteur de 70% du salaire en Suisse et le 30% restant en Italie aux taux habituellement pratiqués dans ce pays. La Suisse n’aurait ainsi plus rétrocédé d’impôts à l’Italie. Cet accord est toutefois resté lettre morte jusqu’à ce jour, malgré la promesse d’une signature imminente d’ici fin 2020.

Enfin, s’agissant de l’Allemagne, le droit d’imposition appartient à l’état de résidence du frontalier (article 15a CDI-Allemagne). Toutefois, l’état dans lequel le travail est exercé peut prélever un impôt à la source n’excédant pas 4.5% du montant brut des rémunérations. Afin d’éliminer la double imposition en Suisse, le montant brut des rémunérations est réduit d’un cinquième lors de la fixation de l’assiette de l’impôt. L’Allemagne accorde elle un crédit d’impôt.

A noter que selon la CDI-Allemagne si, après son travail, le travailleur ne regagne pas régulièrement son domicile, il perd sa qualité de frontalier uniquement si, pour une occupation sur toute l’année civile, il ne regagne pas son domicile plus de 60 jours ouvrables en fonction de l’exercice de son activité. Dans cette hypothèse, il y a imposition à la source en Suisse selon les barèmes ordinaires.

Il ressort de ce qui précède que les frontaliers sont imposés en Suisse à la source dans les cantons suivants :

– Les frontaliers français sauf dans les cantons de Vaud, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Valais, Soleure, Neuchâtel, Jura et Berne si les conditions sont remplies. Les frontaliers semainiers, à savoir ceux qui rentrent dans leur pays de résidence uniquement pour les week-ends sont toujours imposés à la source.

– Les frontaliers italiens ;

– Les frontaliers allemands.

A noter que les frontaliers italiens et allemands possèdent des barèmes spécifiques complémentaires. Pour le surplus, les frontaliers bénéficient également de la possibilité de demander un ajustement du barème C ainsi que les déductions spécifiques comme les cotisations au 3ème pilier A ou les frais de garde, étant précisé que cette dernière possibilité disparaîtra en 2021 et sera remplacée par le statut de la quasi-résidence (voir ci-dessus). Ainsi, comme les résidents suisses, ils pourront demander à être soumis au régime fiscal ordinaire en Suisse pour autant que 90% de leurs revenus mondiaux soient d’origine suisse.

D) Travailleurs détachés et imposition à la source

Les travailleurs détachés (peu importe le type de permis de séjour) ne sont en principe pas soumis au régime fiscal de la source dans la mesure où celui-ci exige, en vertu du principe de la substitution fiscale, que le débiteur de l’impôt (en l’espèce l’employeur) soit assujetti à la souveraineté fiscale suisse.

En effet, conformément à l’article 88 LIFD, pour qu’il y ait retenue à la source, l’employeur doit avoir son domicile, son siège, son administration effective, un établissement stable ou une installation fixe en Suisse, ce qui n’est pas le cas dans l’hypothèse d’une prestation de services transfrontalière. Les autorités procèdent à une approche économique ce qui peut occasionner une retenue de l’impôt à la source en Suisse même lorsque la rémunération ne se fait pas à la charge de la succursale ou de l’établissement stable, mais que l’activité peut être imputée à la succursale ou à l’établissement stable suisse (Commentaire de l’Ordonnance du DFF sur l’imposition à la source).

Ainsi, les cas d’abus sont réservés notamment lorsque c’est la société suisse, destinataire de la prestation de services, qui est en réalité l’employeur de fait du travailleur détaché (voir ci-dessous pour une discussion de la problématique).

A ce stade on relèvera ici que l’on est en présence d’un employeur de facto en Suisse lorsque le travail n’est momentanément pas fourni pour l’entreprise avec laquelle le contrat de travail a été signé, mais pour une autre entreprise du groupe sise en Suisse, qui peut être considérée, sur le plan économique, comme employeur. Si l’on est en présence d’un employeur de facto en Suisse, les rémunérations sont soumises à l’impôt à la source dès le premier jour de travail (Commentaire de l’Ordonnance du DFF sur l’imposition à la source).

C’est d’ailleurs ce que prévoit expressément l’article 4 de la nouvelle Ordonnance du DFF sur l’imposition à la source dans le cadre de l’impôt fédéral direct (Ordonnance sur l’imposition à la source, OIS) du 11 avril 2018 qui entrera en vigueur le 1er janvier 2021.

Il ressort de ce qui précède que les travailleurs détachés, assujettis de manière illimitée ou limitée en Suisse, resteront sauf exceptions soumis à la taxation ordinaire. Ainsi, en est-il par exemple d’un ressortissant italien, employé d’une société italienne, qui vient travailler dans le cadre d’une mission en Suisse pendant 10 mois (permis L détaché) avec sa famille. Bien entendu, cette situation soulève des questions en matière de double imposition et la CDI avec l’Italie doit être examinée afin de déterminer qui de l’Italie ou de la Suisse taxera le contribuable sur les revenus provenant de son salaire.

Le travailleur détaché doit donc remplir une déclaration fiscale annuelle dans les délais et y joindre tous les documents nécessaires, en particulier son certificat de travail mentionnant tous les revenus du travail, réguliers ou irréguliers, réalisés dans le monde entier pendant la période fiscale (l’année civile en Suisse).  Il doit également déclarer ses autres revenus suisses et étrangers (s’agissant du travailleur détaché assujetti de manière limitée en Suisse, les revenus étrangers sont pris en compte uniquement pour la détermination du taux).

IV) Le régime fiscal applicable d’après les normes internationales

On a vu en introduction qu’en présence d’éléments d’extranéité, il convient dans un premier temps d’examiner le droit fiscal interne suisse au niveau de la résidence et du domicile, puis d’étudier la convention de double imposition (CDI) éventuellement applicable afin de régler les conflits de taxation.

Les CDI signées avec la Suisse, qui reprennent généralement les règles contenues dans le Modèle de convention concernant le revenu et la fortune de l’Organisation de coopération et de développement économiques (CM-OCDE), contiennent tout d’abord des clauses de résolution des conflits de résidence et de domicile fiscal.

Comme point de départ, l’article 4 paragraphe 1 CM-OCDE stipule que l’expression « résident d’un état contractant » désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit état, est assujettie à l’impôt dans cet état en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l’impôt dans cet état que pour les revenus de sources situées dans cet état ou pour la fortune qui y est située.

Il ressort de ce qui précède que la notion de résidence et de domicile est définie par renvoi au droit interne, en l’espèce le droit suisse pour la Suisse et le droit étranger pour les autorités fiscales étrangères.

Ainsi, en présence d’éléments internationaux, l’application de l’article précité interprété d’après le droit interne de chaque état entraîne le risque qu’une personne physique soit considérée comme résident fiscal des deux états contractants en même temps. Il en résulte une double résidence et partant une double imposition en Suisse et à l’étranger.

L’article 4 paragraphe 2 CM-OCDE permet de résoudre ce conflit fiscal par un système en cascade (« tie breaker rules »). Ainsi, lorsque, selon la disposition du paragraphe 1, une personne physique est considérée comme résident fiscal de chacun des états contractants, le cas est résolu d’après les règles suivantes :

1. La personne est considérée comme résident de l’état contractant où elle dispose d’un foyer d’habitation permanent ; On vise ici toute forme d’habitation (maison, appartement, etc.) en pleine propriété ou en location à condition que le logement présente un caractère durable, à savoir qu’il soit à disposition de l’intéressé en tout temps, d’une manière continue et pas occasionnellement pour effectuer un séjour (Commentaire OCDE n. 13 ad. art. 4). Ainsi, le travailleur qui séjourne alternativement dans divers hôtels de Suisse ne saurait disposer, à notre sens, d’un foyer d’habitation permanent en Suisse.

2. Si elle dispose d’un foyer d’habitation permanent dans les deux états, elle est considérée comme un résident fiscal seulement de l’état avec lequel elle possède les liens personnels et économiques les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ; C’est généralement ce critère qui permet de déterminer la résidence ou le domicile fiscal du contribuable dans le cadre de l’application des CDI.

3. Si l’état contractant où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou si elle ne dispose d’un foyer d’habitation permanent dans aucun des états contractants, elle est considérée comme résident de l’état contractant où elle séjourne de façon habituelle.

4. Si cette personne séjourne de façon habituelle dans chacun des états contractants ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun d’eux, elle est considérée comme résident fiscal de l’état contractant dont elle possède la nationalité.

5. Enfin, si cette personne possède la nationalité de chacun des états contractants ou si elle ne possède la nationalité d’aucun d’eux, les autorités compétentes des états contractants tranchent la question d’un commun accord.

Comme déjà relevé, le Tribunal fédéral suisse estime qu’en droit fiscal international, la notion de « retour régulier » et de « fonction dirigeante » ne trouve pas application comme c’est le cas en matière intercantonale. Ainsi, les intérêts professionnels du contribuable ne revêtent pas plus d’importance dans l’examen global que ses relations avec les proches et avec la société, ses intérêts politiques, culturels, ou encore ses loisirs ; les intérêts professionnels ne revêtent une importance plus grande à cet égard que lorsqu’ils constituent une part prépondérante de l’ensemble de ses intérêts (arrêt 2C_1139/2012 du Tribunal fédéral du 20 juillet 2015). Pour déterminer le centre des intérêts vitaux de l’intéressé, on tiendra ainsi compte de ses relations familiales et sociales, ses occupations, ses activités politiques, culturelles ou autres, le siège de ses affaires ainsi que le lieu d’où il administre ses biens (Commentaire OCDE n. 15 ad. art. 4).

Enfin, on relèvera la particularité de la CDI avec la France qui confond la notion de foyer d’habitation avec celle du centre des intérêts vitaux et qui retient uniquement le lieu avec lequel le contribuable entretient les relations personnelles les plus étroites. Aussi, la CDI avec l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Suède accorde un droit d’imposition concurrent à l’état de départ pendant une certaine période d’attente (5 ans pour l’Allemagne).

Lorsque le pays de domicile ou de résidence fiscal du contribuable a été identifié sur la base de la CDI, il reste à déterminer quel état est en droit d’imposer le revenu provenant de l’exercice de l’activité salariée du travailleur, d’après les règles de partage de la convention.

Ainsi, d’après l’article 15 paragraphe 1 CM-OCDE, sous réserve d’exceptions (par exemple pour les artistes ou les sportifs, les jetons de présence ou tantièmes des administrateurs de sociétés, les pensions et les retraites) les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident fiscal d’un état contractant reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet état, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre état contractant. Si l’emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre état.

Il ressort de ce qui précède que l’imposition du revenu provenant de l’exercice d’une activité lucrative dépendante appartient en règle générale à l’état dans lequel le travail est exercé.

A noter que la CDI-Allemagne contient une règle particulière : d’après l’article 15 paragraphe 4, une personne physique qui est un résident fiscal d’un état contractant mais exerce une activité en tant que membre du directoire, directeur, gérant ou fondé de pouvoir d’une société de capitaux qui est un résident de l’autre état contractant, reste imposable dans l’état de résidence pour les rémunérations qu’elle reçoit pour cette activité, si cette activité ne produit des effets qu’en dehors de cet autre État.

Il existe toutefois certaines exceptions parmi lesquelles (paragraphe 2) la « clause du monteur » : la primauté du lieu de travail est remise en cause si le travailleur séjourne dans l’autre État pendant une période ou des périodes n’excédant pas au total 183 jours durant toute période de douze mois commençant ou se terminant durant l’année fiscale considérée, et les rémunérations sont payées par un employeur, ou pour le compte d’un employeur, qui n’est pas un résident de l’autre État, et la charge des rémunérations n’est pas supportée par un établissement stable que l’employeur a dans l’autre État.

Cette exception vise expressément les travailleurs détachés, permettant à un employeur étranger d’envoyer des équipes en mission dans l’autre état, sans que les employés ne soit soumis à l’impôt sur le salaire dans ce dernier pays. Elle se retrouve notamment dans les CDI signées par la Suisse avec ses voisins comme la France, l’Italie ou l’Allemagne.

Le décompte des 183 jours s’effectue en tenant compte de tous les jours de présence physique du travailleur sur le territoire. La durée des rapports de travail n’est ainsi pas déterminante mais le nombre de jours effectifs de séjour, étant précisé que toute fraction de journée compte comme journée entière de présence. Il en va de même des jours d’arrivée et de départ, les jours fériés et les week-ends (Commentaire OCDE n. 5 ad. art. 15). On relèvera que la Suisse utilise dans ses CDI le terme « au cours de l’année fiscale considérée » plutôt que la formulation « au cours de toute période de 12 mois commençant ou se terminant durant l’année fiscale considérée ».

A noter que la clause du monteur peut donner lieu à des abus notamment en matière de location internationale de main-d’œuvre (Commentaire OCDE n. 8.1ss ad. Art. 15). En effet, un employeur local désireux d’engager du personnel pour une courte durée peut être tenté de recourir à un intermédiaire établi à l’étranger qui se présente comme employeur et loue le travailleur à l’employeur local, afin d’éviter l’imposition dans le pays d’exercice temporaire de l’activité lucrative. Aussi, il sied de déterminer si l’on se trouve en présence d’un véritable détachement de travailleurs résultant d’un contrat de prestations de services entre deux entreprises ou d’un montage fictif (relation d’emploi salarié). Enfin, des problèmes épineux peuvent survenir en présence de location de services entre sociétés d’un même groupe. Une directive du SECO a d’ailleurs été émise en 2017 sur cette dernière problématique, notamment au niveau des autorisations nécessaires (intitulée « Location de services intragroupe – Évaluation de l’obligation d’autorisation / Directive 2017 : précision des Directives et commentaires relatifs à la LSE »)

La Suisse, comme d’autres pays, a mis en place une liste de critères permettant de détecter les abus (voir par exemple la circulaire n°45 de l’Administration fédérale des contributions (AFC) du 12 juin 2019 sur l’imposition à la source. Parmi ces critères, on citera (Commentaire n. 8.12ss ad. art. 15) :

– La nature des services fournis par l’employé et son rôle dans l’entreprise ;

– La société qui est habilitée à donner des instructions sur la manière dont les travaux doivent être effectués ;

– L’entreprise qui met à disposition le matériel et l’outillage nécessaire à l’exécution du travail ;

– La société qui contrôle le lieu où le travail est effectué, qui a la responsabilité du travailleur et qui assume les risques du travail fourni ;

– Le nombre de salariés détachés et leurs compétences.

– Les arrangements financiers convenus entre les deux sociétés, même si ce facteur n’est pas déterminant à lui seul.

Sur la base de ce qui précède, on peut envisager les divers scénarios suivants :

1. Un travailleur, résident fiscal en Italie, est détaché par son employeur italien chez un client en Suisse pour effectuer le montage d’une machine. La durée de la mission est de 60 jours durant l’année fiscale 2020 (=> autorisation de travailler via la procédure de notification suisse uniquement). Le travailleur restera imposé en Italie sur les revenus de son travail en vertu de l’article 15 paragraphe 2 CDI-Italie.

2. Un travailleur, résident fiscal au Portugal, vient travailler à Zurich pour le compte d’un employeur suisse pour une période totale de 5 mois (permis L) durant l’année fiscale 2020. Il sera imposé en Suisse sur les revenus de son travail en vertu de l’article 15 paragraphe 1 CDI-Portugal.

3. Une multinationale basée en France envoie dans sa nouvelle filiale de Genève l’un de ses directeurs (résident fiscal en France) durant 4 mois afin qu’il forme le management et transmette la culture du groupe (=> autorisation 4 mois non contingentée). L’article 17 paragraphe 2 CDI-France devrait s’appliquer et le travailleur restera soumis à une imposition en France sur son salaire. Il ne saurait être considéré comme frontalier puisque son employeur est français.

4. Un groupe possède et gère des hôtels via des filiales basées en Suisse, en France et en Espagne. La filiale d’Espagne détache l’un de ses réceptionnistes dans la filiale Suisse (en manque de personnel) pour une durée de 5 mois. L’article 17 paragraphe 2 CDI-Espagne ne devrait pas s’appliquer quand bien même le salaire continuerait d’être versé par la filiale espagnole. En effet, le réceptionniste sera ici formellement intégré aux activités de gestion de la filiale Suisse, il prendra instruction auprès de ses supérieurs suisses, sera contrôlé par et sous la responsabilité de ces derniers. On ne peut pas parler d’un détachement à proprement dit. D’ailleurs, les autorités d’immigration devraient vraisemblablement émettre un permis L « ordinaire » dans cette hypothèse et non un permis de travailleur détaché. Une imposition à la source devrait alors intervenir.

5. La société X basée en Grèce est spécialisée dans la location de personnel hautement qualifié. Z est une société basée à Genève spécialisée en ingénierie et a besoin d’un ingénieur « ponts et routes » pendant une durée de 60 jours. X recrute et embauche T, résident fiscal en Grèce, au moyen d’un contrat de travail local et le dépêche en Suisse.  Au-delà du fait que cette situation pose un problème d’interdiction faite à un bailleur de services domicilié à l’étranger de louer des travailleurs à des entreprises suisses (article 12 alinéa 2 LSE), l’article 15 paragraphe 2 CDI-Grèce ne saurait s’appliquer en raison du fait que, contrairement à Z, les services fournis par la société X n’entrent pas dans le cadre des activités de l’employeur de T. Le véritable employeur est la société Z. La encore une imposition à la source devrait intervenir.

Conclusion

On a vu que l’assujettissement fiscal des travailleurs détachés et des salariés de courte durée en Suisse est complexe. Ce d’autant plus qu’une erreur d’appréciation peut avoir de fâcheuses conséquences non seulement pour le travailleur mais également pour son employeur. Ainsi, par exemple l’entreprise qui estime à tort que son salarié n’est pas imposé à la source en Suisse s’expose à devoir payer deux fois. Il convient ainsi d’examiner chaque situation au cas par cas et de se méfier des automatismes. Une analyse du droit fiscal interne mais également des conventions de double imposition doit être effectuée de manière consciencieuse. Aussi, le travailleur est invité à bien renseigner son employeur sur sa situation personnelle et familiale.

Nous sommes à votre disposition pour toute question.

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