Par jugement du 24 juin 2020, n° 19PA00458, la Cour administrative d’appel de Paris a estimé inapplicable l’article 123 bis CGI à un trust irrévocable et discrétionnaire.
Cette décision importante de la justice française apporte des clarifications bienvenues en matière de mesures anti-abus dans le domaine du trust et envoie un signal fort à l’administration fiscale. Il sied de relever que la jurisprudence sur le trust est plutôt rare en France.
L’article 123 bis du Code général des impôts (CGI), permet au fisc de considérer comme fiscalement transparentes, les structures étrangères (personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables) soumises à une fiscalité privilégiée et détenant des valeurs mobilières, des créances, des dépôts ou des comptes courants, lorsqu’une personne physique résidente de France détient au moins 10 % des actions, parts, droits financiers ou droits de vote.
En l’espèce, l’administration s’est fondée sur ledit article pour imposer en 2010 et 2011, les revenus mobiliers réputés perçus par un contribuable qui avait constitué en 2004 et 2008, alors qu’il n’était pas résident fiscal français, trois trusts irrévocables et discrétionnaires aux Bermudes, auxquels il avait transféré des actifs lui appartenant.
Le contribuable a contesté en premier lieu qu’un trust, qui n’a pas la personnalité morale, puisse constituer une entité visée par l’article 123 bis CGI.
La Cour a estimé que le texte pouvait s’appliquer à un trust gouverné par un droit étranger. Se fondant sur l’interprétation de la disposition à la lumière des travaux préparatoires de l’article 101 de la loi de finances pour 1999 dont elle est issue, les trusts à travers la fiducie dont ils constituent une « institution comparable », doivent être inclus dans la base légale.
Toutefois, force est d’admettre qu’un trust irrévocable et discrétionnaire ne peut être détenu par personne !
En effet, les bénéficiaires ne détiennent aucune action, part ou droit de vote et ne peuvent bénéficier des produits générés par le trust, qu’en vertu d’une décision prise, tant sur le principe que sur les montants distribués, par le trustee à sa seule discrétion, en l’espèce une société dont il ne résultait pas de l’instruction qu’elle était contrôlée par le contribuable.
En conséquence, selon les juges l’article 123 bis CGI ne saurait s’appliquer dans cette hypothèse.
L’arrêt précise « au surplus, et en tout état de cause », qu’à supposer que le contribuable puisse être considéré comme détenant des droits dans le trust, il pourrait se prévaloir de la clause de sauvegarde issu de la jurisprudence constitutionnelle (Décision n° 2016-604 QPC du 17 janvier 2017) et communautaire (Halifax et Cadbury Schweppes), permettant d’exclure de son champ d’application les schémas non dépourvus de substance lorsque l’entité est établie dans un pays lié à la France par une convention fiscale prévoyant l’assistance administrative et l’assistance au recouvrement fiscal.
En l’espèce, le fait que le trust ait été constitué à une époque où le contribuable n’était pas résident français, dans un but de protection du patrimoine de sa famille, compte tenu de son âge, de sa situation matrimoniale et du jeune âge de ses enfants, lui permet de bénéficier de la protection de la clause de sauvegarde, dans la mesure où l’interposition du trust ne saurait être regardée comme constitutive d’un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française.
A noter que la version actuelle du texte de loi prévoit que la condition de détention de 10 % est présumée satisfaite lorsque la personne physique a transféré des biens ou droits à une entité juridique située dans un état ou territoire non coopératif au sens de l’article 238-0 A CGI.
Toutefois, la disposition actuelle prévoit une clause de sauvegarde supplémentaire (alinéa 4 bis 2ème paragraphe de l’article 123 bis CGI) stipulant que quand bien même l’entité juridique serait établie ou constituée dans un état non européen ou ne disposant pas d’une convention fiscale avec la France, le régime de transparence ne saurait être applicable si la personne domiciliée en France démontre que la structure a principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices ou de revenus dans un état ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié.
Nous ne pouvons qu’approuver l’interprétation de l’article 123 bis CGI faite par la Cour, et ce tant au niveau du champ d’application général de la loi que son exclusion s’agissant des trusts discrétionnaires et irrévocables.
Aussi, concernant la clause de sauvegarde, on voit mal comment un contribuable aurait pu contourner la législation fiscale française n’étant lui-même pas domicilié dans le pays au moment de la constitution du trust.
Reste à savoir si cette jurisprudence pourrait s’appliquer dans le cadre d’un trust certes discrétionnaire mais révocable. De notre point de vue, la réponse devrait être affirmative dans la mesure où c’est bien le trustee qui possède seul le pouvoir de décision sur la distribution des avoirs du trust et non le settlor ou les bénéficiaires, sujets fiscaux visés par l’article 123 bis CGI.
CROCE & Associés SA est un cabinet d’avocats suisse basé à Genève, Londres, Singapour et Shanghai, spécialisé en matière de droit des trusts et des fondations de famille. Pour plus d’informations, vous êtes invités à nous contacter ou consulter notre note complète sur l’imposition du trust en droit français.